Plan d’Ajustement et de Développement et Non de Relance

Le gouvernement du Sénégal vient de nous présenter son plan d’ajustement à la suite d’une riposte budgétaire contracyclique conjoncturelle qui se justifiait par la nécessité qu’il y avait de substituer la demande publique à la demande privée en repli du fait de la pandémie et du ralentissement de la production. Nous l’avons soutenu dans notre tribune intitulée « Sénégal : Organiser la Résilience Systémique à la Crise».  De ce point de vue, le déficit budgétaire de 6% du PIB de 2020 sera progressivement ramené à 3% à l’horizon 2022 selon les engagements de nos autorités avec le Fonds Monétaire International. Ceci non pas parce que c’est ce qu’il faut, mais parce que nous n’avons pas les moyens de faire autrement. Cette impulsion budgétaire négative sur la période 2021-2022 s’appelle ajustement puisque la relance est le contraire sur le plan macroéconomique. Dans la mesure où l’annulation de la dette publique que nous souhaitions n’arrivera pas, la relance comprise au sens macroéconomique, ne sera pas possible puisque non finançable de façon soutenable selon notre façon habituelle de faire.

La Banque Centrale a bien campé le message invoquant la nécessité de préserver la stabilité macroéconomique, les équilibres extérieurs, et le bon niveau de réserves de change pour faire face à des chocs externes et temporaires et non pour une relance. Les banques, sans une relance monétaire, ne pourront pas non plus financer une relance sous le leadership d’un secteur privé national. Les ressources ne seront pas disponibles puisque le refinancement de la banque centrale ne suivra pas. Ces contraintes réelles découlent de notre cadre institutionnel monétaire. Des fonds de garantie ou des banques publiques ne changeront pas cette donne puisqu’il s’agira de mécanismes quasi budgétaires qui ne seront pas suivis par les banques, la banque centrale, ou nos bailleurs traditionnels.

Dans le cadre de cet ajustement, nos autorités ont donc développé un nouveau plan de développement (et non de relance) qui ne correspond pas aux orientations initiales du PSE mais qui, se servant de la pandémie, remet la transformation structurelle par le secteur privé national et le volontarisme d’état au cœur. En y ajoutant l’importance de l’humain au centre de tout développement, Il se conforme ainsi aux appels de l’opposition sénégalaise et de la société civile. C’est donc contraints et forcés que nous allons enfin investir dans la santé, l’éducation, et les infrastructures de base.

Comme nous l’avons déjà documenté ailleurs, le Sénégal n’a pas amorcé l’objectif de transformation structurelle du PSE initial dans la période 2014-2019 et allait droit au mur avec des arriérés au secteur privé remboursés en partie grâce au FMI. Le nouveau plan de développement (et non de relance), comme le PSE initial, ne produira pas les résultats de croissance escomptés puisque l’endettement ne sera plus possible. La part du secteur privé qui a été augmentée, puisque le secteur public sera en ajustement, n’arrivera pas si les réformes nécessaires ne sont pas faites. Une loi de Partenariat Public-Privé ne sera pas suffisante. Les projets PPP nécessitent un pouvoir d’achat des populations puisque la rentabilité y est toujours nécessaire ou prise en charge par l’état qui lui n’a pas de moyens.

Le Président de la République a insisté sur les réformes qui n’arrivent pas et le Ministère de l’Economie compte sur la productivité pour augmenter la croissance. Cette productivité ne viendra pas car la croissance endogène voulue sera impossible sans un système monétaire et de change d’accompagnement. La productivité qu’il nous faut doit venir d’une demande intérieure ou extérieure que nous ne sommes pas en mesure de stimuler. Une réallocation budgétaire vers l’agriculture et des secteurs choisis pourrait donner de la croissance dans ces secteurs, mais sur le plan macroéconomique le résultat systémique sera nul. Nous reviendrons à notre tendance habituelle de croissance (pétrole et gaz exclus).

Il reste alors à notre état une seule voie. Faire ce que la Représentante de l’Union Européenne a suggéré : « Orienter le budget vers les besoins humains, éducation, santé, infrastructure de base, environnement et préserver la stabilité macro-économique ». C’était la déclaration de Politique Générale 2 de Aminata Touré que nous avions positivement évaluée. Les programmes sociaux tels que le PUDC, et même des programmes agricoles qui quant-au fond sont des programmes sociaux sont tout ce que l’état peut réellement faire dans son cadre institutionnel actuel et ses moyens. La révolution agricole quant à elle ne pourra se réaliser au Sénégal que lorsqu’une réforme foncière permettant l’investissement de vrais professionnels dans l’agribusiness sera faite. Le Président de la république l’a dit. Le développement des territoires quant à lui n’arrivera que lorsque l’état lui-même se dessaisira de leurs plans de développement. Un plan de développement est plus approprié au niveau local qu’au niveau de l’état central.

De notre point de vue, tant que notre pays ira de plan en plan sans changer notre cadre institutionnel et monétaire l’histoire se répétera toujours. L’illusion d’une croissance forte en 2023 du fait d’investissements dans le secteur des hydrocarbures et l’exploitation de cette richesse naturelle ne changera pas le fait que nous ne créons pas de la richesse. La pensée de groupe (group think) est nuisible pour un pays et c’est ce qui s’est passé à Diamniadio le 29 Septembre 2020.

L’alternance au pouvoir permet la respiration démocratique et le changement de cap. Il est difficile pour les mêmes acteurs de dire à leurs concitoyens qu’ils ont changé de cap lorsqu’ils font face à un mur. Le nom des plans reste le même et le contenu change toujours car on ne veut pas admettre ses échecs antérieurs. Ceci est mauvais pour un pays. Nous avons eu 20 ans de socialisme démocratique avec Senghor, 20 ans de libéralisme social avec Abdou Diouf, et 20 ans de la même chose avec Abdoulaye Wade et Macky Sall. Les prochaines 20 années ne doivent pas être la même chose avec le plan qui vient de nous être présenté et qui ne produira pas de résultats puisqu’il sera mis en œuvre dans le même cadre institutionnel et monétaire sans endettement soutenable possible.  La seule issue est le secteur privé étranger qui voudra bien partager avec nous le fruit de la croissance qu’il aura produite. C’est ce que j’ai appelé le Libéralisme Internationalisé Socialisant. Nous lui préférons le Libéralisme Patriotique impossible dans notre contexte sans une architecture monétaire d’accompagnement et une véritable décentralisation en pôles régionaux autonomisés et finançables.

 

Librement

 

Dr. Abdourahmane Sarr

Président du CEFDEL

Moom Sa Bopp Mënël Sa Bopp

Relance Post Covid Endogène : Comment ?

Au Sénégal, pouvoir comme opposition, et les sénégalais de manière générale souhaitent « une croissance endogène, inclusive, et équitable grâce à une valorisation du contenu local et l’ancrage durable d’une culture du produire et consommer sénégalais ». Toutefois, nos économies rurales de subsistance et celles urbaines peu monétisées ne peuvent produire ce résultat sans une politique monétaire, de crédit, et de change d’accompagnement adéquate qui nous libérerait de la dépendance extérieure. Nos villes épicentres de pôles régionaux et polarisatrices de leurs zones rurales sont une opportunité d’exode rural et de spécialisation à la suite d’une réforme foncière pour une agriculture marchande et une industrie plus productive pour satisfaire ces villes. Cependant, une telle articulation entre les villes et les localités qu’elles polarisent a besoin d’une architecture monétaire conçue pour valoriser les ressources locales sous-utilisées et les échanges entre localités nationales.

Malheureusement, tout en clamant l’objectif d’endogénéisation de la croissance, nos pays ont récemment décidé de maintenir la parité fixe de l’ECO à venir sur l’euro et peut être plus tard à un panier de devises. Sans ressources fiscales et face aux contraintes de financement monétaire de la relance post Covid-19 dans ce régime, nos états se sont résignés à s’endetter davantage, empirant le fardeau de la dette, et/ou à solliciter la coopération pour des annulations de dettes, moratoires, ou dons. Ainsi, notre destin ne semble plus être entre nos mains pendant que les pays avancés, à coups de milliards de dollars ou d’euros, financent sans compter la demande pour stimuler leurs productions à pleines capacités. Le pétrole et le gaz à venir aideront pour un temps, mais leur apport sera limité pour les objectifs que nous nous sommes fixés.

L’absence ou l’insuffisance d’un moyen d’échange pour maximiser l’utilisation des capacités de production et d’échange est un problème bien connu des économistes. A l’échelle internationale, l’insuffisance de devises dépendant des politiques monétaires de certains pays avait justifié en 1969 la création et l’allocation gratuite de Droits de Tirages Spéciaux (DTS) du Fonds Monétaire International pour faciliter le commerce international. La même chose a été faite en 2009. Une banque centrale allocataire peut ainsi échanger ses DTS contre des devises d’une autre banque centrale pour le règlement d’importations, ce qui favorise le commerce international par l’émission des devises nécessaires. Ce moyen d’échange n’ayant cours légal et libératoire nulle part, mais échangeable contre devises, est émis sur décision du FMI afin de satisfaire une demande de devises pour payer une production et un commerce international possibles. Les allocations par pays dépendent ainsi principalement de leurs poids dans les exportations internationales quand il est jugé que le commerce international a besoin de DTS supplémentaires. L’allocation de DTS de cette manière bénéficie essentiellement aux grands pays et exportateurs.

Pour nous, cette même logique à l’échelle du monde s’applique à l’échelle de la communauté de base. Le développement de l’Afrique dans l’autonomie et la liberté se fera par le développement de ses communautés de base. Mais cette liberté et cette autonomie passeront par la maitrise du rôle de la monnaie dans le financement du développement local afin d’établir le lien entre une demande locale et une production possible que nos monnaies officielles n’arrivent pas à établir. D’abord, parce que les populations ne sont pas financièrement incluses en ces monnaies, ensuite parce que nos économies ne sont pas compétitives à l’international, ce qui favorise les importations. La production locale pour une consommation locale se trouve ainsi désavantagée par rapport aux matières premières seules capables de générer des recettes en devises pour payer dettes ou demandes liées dans le cadre d’un commerce international essentiellement libre. Au regard de l’absence de volonté politique d’affranchir l’ECO de son arrimage sur l’euro, est-il possible d’innover de sorte à réconcilier les points de vue des adeptes du statu quo et ceux des défenseurs de son abandon qui veulent que les états puissent plus librement disposer de l’outil monétaire et de change dans la stabilité des prix pour accompagner leur développement ?

Nous avons soutenu que OUI dans un article en 2016 dont les principaux éléments sont reproduits ci-dessous dans ce contexte post-Covid 19. En mettant en place des monnaies nationales complémentaires à la monnaie commune ECO ou FCFA, nous pourrions favoriser l’inclusion financière des populations dans un moyen d’échange plus compétitif qui pourra stimuler la production locale qui trouvera également sa demande localement. Cette économie sera complémentaire à celle que nous connaissons et pourra par ailleurs renforcer et formaliser le secteur dit informel. Pour comprendre, il faut d’abord savoir qu’il n’y a que trois sources d’injection d’argent dans une économie monétaire pour lier la demande à la production : (i) la banque centrale (ii) les banques commerciales (iii) et l’argent de l’extérieur (dettes, exportations, investissements) dont l’origine est également les deux premières sources dans ces pays. Dans notre cas, ni l’Etat, ni les banques commerciales, n’arrivent à jouer ce rôle efficacement pour la majorité de la population exclue du système financier et du crédit. Cette situation s’est aggravée avec la Covid-19. Le seul lien que nos populations financièrement exclues ont avec le système financier classique est la monnaie émise par la banque centrale entre leurs mains ou en portefeuille électronique. Cette émission est elle-même rendue possible principalement par les réserves de change en devises en zone UEMOA, qui elles dépendent de l’endettement, d’exportations de matières premières et de l’émigration. En effet, nos réserves de change couvrent une bonne partie de l’émission monétaire de notre banque centrale.

De ce fait, si un Fiduciaire qui représenterait des populations et des entreprises qui auront acheté avec le FCFA un moyen d’échange appelé SEN pouvait émettre, par effet de levier sur ces FCFA, ce même moyen d’échange sous forme de crédit en leur nom, le problème serait réglé. Ce moyen d’échange, comme les DTS, n’aurait pas cours légal et libératoire, attributs exclusifs du Franc CFA. Il ne serait qu’un moyen d’échange (de troc de biens et services) et d’octroi de crédit des entreprises membres (leurs biens et services) à leurs clients qui circulerait solidairement entre membres et dont la gestion serait déléguée à ce Fiduciaire.  Comme les DTS, le SEN ne serait utile que parce qu’il y a des biens et services disponibles ou productibles que les membres de l’écosystème pourraient ne pas produire en l’absence d’un moyen d’échange adéquat recirculant. Le crédit SEN circulant ne serait pas convertible jusqu’à ce qu’il soit remboursé en FCFA, c’est-à-dire que les bénéficiaires aient eu des FCFA pour les rembourser. Ce crédit circulant entre membres serait l’équivalent des crédits (comptes clients) que les commerces font tous les jours à leurs clients mais sous forme non digitale et non transférable et que le système bancaire classique n’arrive pas non plus à liquéfier. Si ce crédit SEN digital et transférable stimule la production et les échanges, la quantité de FCFA à émettre par la banque centrale pour soutenir une économie plus large devra suivre sans inflation établissant ainsi le lien avec l’extérieur.

Le SEN que les populations et les entreprises achèteraient avec des FCFA comme biens et services prépayés transférables permettra de conserver la monnaie officielle dans un fonds de recettes des entreprises comme des réserves. Il s’agira d’un Fonds Commun d’Investissement et de Garantie (FONCIG) qui pourrait saisir des opportunités d’investissements actuellement accessibles qu’à ceux qui ont accès au crédit bancaire classique et aux investisseurs étrangers. Mis en place dans le contexte d’une décentralisation autonomisante et d’un Etat qui se dessaisit au profit de pôles régionaux, le Fiduciaire pourrait financer un processus d’émergence à partir de la base.

La conversion des SEN ayant une contrepartie en Franc CFA se ferait à un taux de change convenu entre les membres du Fiduciaire mais initialement de 1. Cependant, en émettant ce moyen d’échange acheté ou obtenu à crédit à un taux de change plus faible (2 SEN pour 1 FCFA par exemple) dès le départ et même plus tard flottant, ce moyen d’échange serait dévalué par rapport au FCFA et pourrait ainsi favoriser la jonction entre les capacités locales sous-utilisées et les besoins locaux dans des conditions de stabilité des prix. Le FCFA serait dans ce schéma une unité de compte et une monnaie commune accompagnée dans chaque pays de l’équivalent du SEN comme monnaie nationale complémentaire citoyenne et compétitive sous le contrôle de citoyens financièrement inclus et solidaires. Nous monétiserions ainsi nos économies locales en complétant ce que le système monétaire officiel n’arrive pas à réussir tout en le laissant jouer son rôle de relais par rapport aux circuits nationaux et internationaux. Il s’agirait là d’un compromis patriotique et progressiste qui dépasse le statu quo et fédère les positions.

Nous avons la chance dans l’UEMOA d’avoir une banque centrale commune, une unité de compte commune, et des réserves de change totalement centralisées mais nous n’avons pas de complément à ce système pour nos communautés de base. C’est-à-dire, des monnaies et des systèmes financiers nationaux au service des économies nationales, la majorité de nos populations étant hors circuit. Les expériences de monnaies complémentaires à travers le monde (WIR Bank, Britol Pound etc…), et l’expérience de l’Irlande et de l’Ecosse où la monnaie physique qui circule n’est visuellement pas la livre sterling, nous démontrent qu’on peut avoir une monnaie nationale complémentaire à côté d’une monnaie officielle en y ajoutant notre propre touche. Notre propre touche serait de faire de cette monnaie complémentaire, une monnaie nationale citoyenne solidaire mais institutionalisée comme les DTS n’ayant pas cours légal et libératoire afin de faciliter les échanges nationaux comme les DTS facilitent les échanges internationaux. A défaut, il faudra que chacun de nos pays ait sa propre monnaie pour accompagner l’émergence et le progrès social à travers l’état si les citoyens ne sont pas financièrement inclus ou si seuls les étrangers ont accès au capital en monnaie officielle ou en devises.

La BCEAO, allant dans le sens des autres banques centrales semble ouverte depuis 2020 à aménager des espaces d’innovation pour les FINTECH qui ne peuvent être régies par la réglementation existante. Ce n’est qu’en sortant des sentiers battus qu’on pourra asseoir « une culture du produire et du consommer local » que nous n’avons pas réussi depuis 1960 dans notre architecture économique et monétaire actuelle handicapée.

C’est cette vision de rupture qui accompagnerait une nouvelle politique de décentralisation que l’ancien Premier Ministre Mamadou Lamine LOUM avait appréciée ainsi qui suit : «Le projet CEFDEL/MRLD prolonge la préoccupation et les orientations des conclusions des Assises Nationales du Sénégal privilégiant une rupture des paradigmes de gestion économique, la priorité d’une décentralisation plus approfondie et plus développementale, l’exigence d’un équilibre territorial autour de pôles économiques dynamiques, le ressourcement par nos valeurs propres valorisant l’autonomie, l’éthique et l’équité, le culte de l’effort et du dépassement » . Nous nous proposons de relever ce défi avec les sénégalais et la classe politique opposition comme pouvoir avec une nouvelle FINTECH prête pour expérimentation à l’échelle de villes sous peu (www.sofadel.com)

 

Librement

 

Dr. Abdourahmane Sarr

Président CEFDEL/MRLD

Moom Sa Bopp Mënël Sa Bopp

Leadership Sénégalais: Cafouillage au Sommet

L’appel du Président Macky SALL pour une annulation de la dette publique du Sénégal et le réaménagement de la dette privée était une erreur pour un pays comme le Sénégal qui a une dette soutenable. Cet appel a soulevé et continue de soulever l’étonnement de tous ceux qui suivent ces questions sérieusement. L’erreur est humaine, mais ce n’est pas parce que le Président a fait une erreur dans une tribune qui appelait à la solidarité, réaffirmée dans des interviews avec la presse étrangère écrite et télévisuelle, qu’il faut que ses laudateurs continuent d’enfoncer le clou en essayant de l’en sortir avec des arguments économiques qui ne tiennent pas la route. Il faut plutôt tourner la page.

Le meilleur argument de rattrapage nous est venu du Ministre des Finances et du Budget dans sa tribune de Jeune Afrique. Après avoir expliqué toutes les raisons pour lesquelles le Sénégal était un bon débiteur, il a argumenté qu’une annulation de notre dette publique permettrait au Sénégal de reconstituer cette même dette jugée soutenable pour les besoins d’une relance contracyclique de transition. L’argument était clair, nous nous y sommes opposé pour une seule raison : La reconstitution de la dette en devises, puisqu’à son niveau actuel, ce qu’il faut faire est la réduire du fait de la vulnérabilité extérieure qu’elle représente au vu de la nécessité de flexibiliser notre monnaie. Le Sénégal a signé un programme avec le FMI qu’il a crié sous tous les toits être le sien sans y croire et qui appelle à réduire notre endettement en devises à moyen terme « Sénégal-FMI : Décryptage Paradigme à Revoir ». Si la communauté internationale veut contribuer à notre relance par le budget, qu’elle nous fasse des dons car à défaut nous ferons appel à notre résilience et c’est possible.

En effet, la nécessité d’une riposte contracyclique n’est pas remise en cause, nous l’avons défendue dans notre tribune intitulée « Organiser la Résilience Systémique au Covid-19 » et l’avons réaffirmée à la suite de la publication du plan de l’état dans notre tribune « Macky Sall : Réalisons Notre Destin Libres ». Cette réponse contracyclique est possible sans demander l’aumône à nos bailleurs si nous responsabilisons notre banque centrale et lui donnons une autonomie d’objectif sur le taux de change de l’Eco à mettre en œuvre en 2020 en ne ratifiant pas la garantie française qui nous est proposée. Nous l’avons argumentée dans la tribune intitulée «Financement UEMOA: Proposition Post-Covid ».

Dans tous les cas de figure, ceux qui nous dirigent doivent clarifier leurs positions politiques pour plus de cohérence dans leurs choix économiques. Qu’est-ce qu’ils sont quant au fond et qu’est ce qui les guide ? Ils veulent être libres ou dépendants ? Nous avons argumenté dans plusieurs tribunes d’avant la Présidentielle de 2019 que le Président Macky Sall était à la croisée des chemins. Soit il ne sait pas ce qu’il est véritablement ou il n’arrive pas à faire la synthèse des tendances idéologiques et doctrinales contradictoires qui l’entourent « Macky Sall: Socialiste, Libéral ou Souverainiste». Nous nous y perdons à chaque fois qu’il s’adresse à la nation, l’avant dernière en date nous appelait effectivement à réaliser notre destin, libres et la dernière devant l’impuissance de l’état face au Covid appelait aussi les sénégalais à prendre leurs responsabilités redécouvrant son libéralisme. Le jour suivant, il participe à une visioconférence, le tout dans un argumentaire de dépendance et de main tendue. Les messages que nous recevons du palais dépendent peut-être de celui qui dans l’entourage était à la plume du jour.

C’est tout à fait vrai car nous nous sommes demandé cette dernière semaine à quel Boun Abdallah Dionne se fier. Sous sa propre plume, il nous a dit en défense de la cause perdue « qu’une annulation de dette ou de la reconversion de celle-ci en une rente perpétuelle, l’essentiel pour l’emprunteur est qu’il n’ait plus rien à payer afin de reconquérir sa capacité d’endettement », ceci parce que des impôts nouveaux ou un endettement nouveau sans annulation préalable s’avèreront insoutenables. Il avait à l’esprit le véhicule en discussion dans certains cercles qui permettrait, à l’image du mécanisme européen de stabilité, de racheter la dette africaine pour la restructurer en une dette à très long terme à taux nul. Ceci pour permettre aux bénéficiaires de créer des espaces nouveaux d’endettement car dit-il « l’Afrique a besoin d’emprunter massivement pour financer l’investissement productif et son industrialisation ».

Nous avons argumenté que ce mécanisme ne devrait pas être applicable au Sénégal pour les raisons que le Ministre des Finances a évoqué dans sa propre tribune. En effet, le Sénégal ayant une dette soutenable, aucun créancer privé ne vendrait la dette sénégalaise pour réinvestir dans cette même dette puisque le Sénégal est solvable, à moins que certains parmi nos autorités veuillent nous convaincre du contraire. Ce mécanisme serait utile pour certains pays africains à la porte du défaut de paiement mais pas le Sénégal qui ne devrait même pas se porter volontaire pour un moratoire puisqu’un moratoire veut également dire ne plus pouvoir emprunter aux mêmes créanciers. Les créanciers nouveaux pourraient cependant être ceux adeptes d’un capitalisme d’état qui se rapprochent davantage des convictions socialistes et socialisantes véritables du Président Macky Sall. Nous l’avons argumenté dans notre tribune intitulée « Macky Sall a choisi : Socialisme et Capital Etranger » à la veille de la présidentielle de 2019. Il cherche ainsi peut être à ne plus dépendre des marchés plus regardants.

Cependant, dans le magazine inaugural Tam Tam de l’Emergence sous le leadership du Ministre en Charge du PSE, il est attribué les propos suivant à Boun Adballah Dionne qui cette fois mentionne le sujet tabou, la monnaie (la quatrième voie, après celles de l’impôts, de la dette, et de son annulation). Il nous dit : « Notre aptitude de riposte face à des chocs étant prioritairement budgétaire, fortement contrainte par des règles très restrictives en matière d’endettement et de déficit, doivent changer. Le politique devant dorénavant déterminer l’économique et non l’inverse. Il en sera de même au plan de l’autre versant du budget. Notre politique monétaire et financière devra être plus audacieuse et plus accommodante, même si elle est mise en œuvre par une banque centrale commune et indépendante, pour s’articuler davantage aux politiques budgétaires expansionnistes entreprises par les pays ouest-africains pour faire face à la crise..Certes, nos stratégies d’émergence continueront à tirer profit de l’aide publique au développement et du marché financier international, bien qu’émettre aujourd’hui des eurobonds sur le marché international va devenir ne plus en plus un exercice à haut risque pour nos trésors publics. Il est ainsi attendu une endogénéisation accrue de nos politiques de financement à travers un recours plus systématique aux ressources du système bancaire et financier domestique. Il est aussi attendu davantage d’espace pour le secteur de l’industrie, donc notre secteur privé national dans nos stratégies d’émergence. C’est à ce double prix que le PSE d’après va porter de manière durable le champion ouest-africain de la reprise post-Covid que le Président de la République ambitionne ».

Nous lui disons que cette dernière position n’est possible qu’avec un ECO flexible et pour ce faire il ne faut pas ratifier l’accord de garantie proposée par la France. A défaut, nous répéterons l’histoire. Les politiques proposées dans les deux positions ne produiront pas de résultats car nous les avons toutes expérimentées. Senghor a emprunté, Diouf a essayé de payer, on lui a pardonné une partie et une autre partie à Wade. Wade a emprunté, Macky a encore plus emprunté sans les résultats annoncés que sont la transformation structurelle, une croissance durable, et la révolution agricole. La gestion 2012-2019 a fini avec des arriérés payés par le FMI grâce au Covid-19, un endettement extérieur excessif, et une croissance en décélération avant Covid-19, et qui n’espérait se relever que grâce au pétrole et au gaz dont l’exploitation est reportée grâce aussi au Covid-19 qui révélera la vérité. Comme nous l’avons argumenté dans nos tribunes intitulées « Annulation de Dettes Non, Souveraineté Monétaire Oui » et «Afrique : Acteur Marginal Réveil Forcé » il faut rester fidèle à vos convictions libérales proclamées ou nous clarifier votre changement de cap car les critères de convergence après la riposte contracyclique devront demeurer pour laisser de la place au leadership du secteur privé.

Le Ministre de l’Economie quant à lui nous dit « qu’il est évident que s’il y a une leçon à retenir de cette crise c’est qu’il faut d’abord compter sur soi-même. Il faut qu’on accélère la correction de certaines tendances de notre économie, notamment notre dépendance vis-à-vis de l’extérieur en produisant davantage et en consommant nos produits et construire des bases solides pour exporter…En plus de ses investissements propres, l’état nouera des partenariats avec le privé et mettra en place des mécanismes pour un meilleur accès des entreprises au financement ». Nous lui disons que les mécanismes mis en place pour riposter contre les effets sur le financement de l’économie sont, comme ce qui s’est fait aux Etats-Unis et ailleurs, des mécanismes quasi-budgétaires et temporaires pour apporter la garantie conjoncturelle de l’état.

Les mécanismes permanents que sont le FONGIP et le FONSIS n’ont pas donné les résultats escomptés car ce sur quoi il faut davantage travailler c’est l’inclusion financière des sénégalais dans une monnaie compétitive qui nous donnera l’exutoire du taux de change au cas où les interventions de l’état accommodées par la banque centrale devaient échouer. Il faudra également des mesures qui ne sont pas d’ordre financier mais d’amélioration de la liberté économique car il est tout simplement difficile pour nos PMEs du secteur informel de réussir. L’aide attendue n’est pas pour les lobbys affairistes dépendant de l’état pour des marchés. Nous l’avons argumenté dans notre tribune intitulée « SENEXIT : Libéralisme Patriotique ou Socialisme? ». Il nous faut changer de paradigme et créer notre propre libéralisme car il n’y a pas d’autre voie vers le progrès. Tous les pays qui ont réussi ont adapté ce libéralisme à leur contexte, y compris la Chine et nous ne sommes pas obligés de perdre le temps qu’elle a perdu.

Nous appelons nos autorités et les sénégalais à s’approprier le slogan « Moom Sa Bopp Mënël Sa Bopp » et de construire un Sénégal de Liberté, de Démocratie, et de Responsabilité. Ce Sénégal n’est pas compatible avec le discours actuel de notre leadership qui est en réalité multiple selon l’interlocuteur. Il faut une unicité de commandement. Nous avons toutes les cartes en main, alors construisons notre avenir en comptant principalement sur nous-mêmes pour nous départir d’une mentalité d’assisté que notre situation d’aujourd’hui ne justifie pas. Pour ce faire, il nous faut arrêter de soutenir nos leaders même dans l’erreur et de leur attribuer des qualités de visionnaires ou de leadership qu’ils n’ont pas nécessairement. Ils ne sont pas des Dieux.

Les propos exprimés dans cette tribune référencée ne sont pas nuancés comme le voudraient certains de mes amis. Ils sont des convictions fortes réfutables d’un « homme ouvert » et patriote. Il serait bien que le Président Macky Sall nous définisse lui-même son Libéralisme Social et nous explique comment le réaliser économiquement pour le Sénégal.

Librement

Macky Sall à Nouveau Libéral?

Le Président Macky Sall face à l’épreuve de la gestion du Covid-19 redécouvre le libéralisme et responsabilise les sénégalais misant sur leur résilience pour un temps devant l’impuissance de l’état. Dans son discours à la nation du 11/5/2020, il nous dit: « Plus que jamais la responsabilité de chacune et de chacun est engagée…Ensemble chacun jouant pleinement son rôle nous réussirons le pari de redynamisation progressive de la vie nationale…puisons chaque jour dans le génie créateur de notre peuple les ressources nécessaires à notre résilience commune…je pense à toutes ces initiatives locales qui fleurissent…rien ne peut épuiser la force mentale d’un peuple résolu à affronter les épreuves et maitriser son destin…J’ai la ferme intention de soutenir toutes ces énergies positives dans mon plan de relance post-Covid..».

Il devrait aussi retenir que les talents révélés par les sénégalais et qui l’interpellent l’ont été à cause de circonstances imposées par le Covid-19 plutôt qu’un plan de soutien. Il faut donc créer les conditions nouvellles (l’environnement) qui leur permettraient de révéler d’autres talents après le Covid et qui ne demandent pas nécessairement de l’argent à travers une annulation de notre dette extérieure. Une réforme monétaire d’envergure en est une. C’est vrai « Rien ne peut épuiser la force mentale d’un peuple résolu à affronter les épreuves et maitriser son destin». L’état doit donc davantage faire confiance aux sénégalais et les encadrer pour qu’ils prennent leur destin et celui de leurs communautés en main. Les responsabiliser dans beaucoup d’autres domaines dont la décentralisation et la conduite des affaires publiques pour un Sénégal émergent dans l’autonomie, la liberté, et la responsabilité (Moom Sa Bopp Mënël Sa Bopp). Dans cette perspective, leur inclusion financiere sera essentielle et nous relèverons le défi lancé par le Chef l’Etat de soutenir l’innovation.

Financement de l’UEMOA: Proposition Post-COVID

Là où l’Europe peut créer un mécanisme de stabilité en faisant lever des fonds par une entité garantie aux titres refinançables par la BCE, nous pouvons faire jouer le même rôle à la BCEAO sans la garantie des Etats si elle a la maîtrise de son bilan

Le Sénégal a lancé le débat sur la dette africaine et par la voix de son ministre des Finances a soutenu que son annulation permettrait de mobiliser des ressources nouvelles pour financer une reprise intéressante pour l’Afrique et ses partenaires. Il s’agirait donc de la reconstituer et rapidement en levant notre contrainte de critère de convergence sur le déficit budgétaire. Le Bénin, par la voix de son ministre des Finances, a lui exprimé une préférence pour des financements nouveaux plutôt que l’annulation ou le moratoire d’une dette jugée soutenable, invoquant des difficultés futures de mobilisation de ressources du marché qui en découleraient. Tidjane Thiam, figure emblématique d’une Afrique compétente et écoutée de la finance internationale, signataire d’une tribune en faveur du moratoire, voit en ce moratoire une solution immédiate et temporaire de libération de liquidités sans ressources nouvelles.

Pour notre part, nous nous sommes exprimés contre l’annulation de notre dette et pour une autonomie monétaire afin de faciliter le refinancement de cette dette en monnaie nationale principalement, avec la souscription de non-résidents (voir Annulation de Dettes Non, Souveraineté Monétaire Oui). En effet, dans la gestion d’une dette souveraine, l’accès aux marchés pour le refinancement d’un niveau de dette soutenable est plus important que la capacité de remboursement avec des recettes effectives. Il est donc important d’être perçu par les marchés comme un souverain solvable qui respecte ses engagements. Nous soutiendrions une annulation de dette pour le Sénégal, si le président Macky Sall s’engageait à ne pas la reconstituer principalement en devises bien que finançable de l’extérieur.

Cela dit, ce débat public est sain comme le soulignait Kako Nubukpo dans une récente contribution, puisque pour notre part, le dénominateur commun de ce débat est que l’Afrique a besoin de ressources extérieures complémentaires pour son développement. Comment mobiliser ces ressources tout en nous affranchissant du joug de nos « partenaires au développement » ? Nous avons noté que Tidjane Thiam en des circonstances différentes de temps et de lieux a exprimé les points de vue suivants : i) « il faut du capital supplémentaire qui entre en Afrique pour la croissance » (ii) « c’est une folie que de financer les infrastructures avec des eurobonds » (iii) « l’Afrique doit utiliser son épargne pour financer ses infrastructures ». Comment réconcilier ces trois positions ?

Clairement, l’insuffisance de l’épargne intérieure ou une utilisation optimale de nos revenus pour la consommation intérieure plutôt que l’investissement, nécessite un complément d’épargne extérieure n’ayant pas meilleurs usages (dettes ou fonds propres). Cette épargne extérieure peut être mise à disposition sous forme d’engagements en devises ou en monnaie nationale. Nous supposons donc que le problème que Tidjane Thiam a eu avec les eurobonds est qu’ils sont une dette en devises. Si tel est le cas, nous partageons avec lui une préférence pour l’endettement en monnaie nationale afin de réduire le risque de change du portefeuille de dette extérieure de nos Etats.

Il se trouve néanmoins que la raison principale pour laquelle nos Etats, Côte d’Ivoire et Sénégal, avaient émis des eurobonds dans des montants qui ont alerté Tidjane Thiam en 2018 n’était pas seulement liée au financement d’infrastructures (voir notre contribution « Eurobonds : le Sénégal et la Côte d’Ivoire au Secours de la BCEAO et des Banques»). Il s’agissait beaucoup plus d’une gestion macroéconomique, car notre banque centrale avait besoin de renflouer ses réserves de change après avoir excessivement financé nos états en monnaie nationale par le bais du refinancement de titres détenus par les banques. Cette thèse a été confirmée par le FMI. Une réduction relative de son volume de refinancement en conséquence avait créé une tension de liquidité dans le secteur bancaire et le marché des titres, générant un effet d’éviction du secteur privé. Au vu de cette expérience, comment lever des fonds sur les marchés internationaux pour renflouer nos réserves de change et soutenir la liquidité bancaire sans contraindre nos Etats à s’endetter en devises ?

Nous avons proposé que la BCEAO puisse émettre des titres sur le marché international sans la garantie des Etats sur la base de la solidité de son propre bilan dans la mesure où ses statuts le lui permettent. Elle pourrait ainsi lever jusqu’à 16 milliards de dollars, soit l’équivalent de ses réserves de change. Les fonds levés représenteraient des réserves de change portant leur niveau à 32 milliards de dollars immédiatement disponibles, alors que l’engagement extérieur de 16 milliards pourrait être sur une période relativement longue (5 ans) et renouvelable. Ainsi, une BCEAO à la gouvernance réformée aurait une capacité renforcée d’intervention, et donc de refinancement de crédits en soutien à la croissance mais sous le leadership du secteur privé.

Les non-économistes ne comprennent souvent pas comment il se fait qu’on ne puisse pas utiliser nos réserves de change pour des investissements alors qu’elles sont disponibles. Les économistes leur répondent toujours que la contrepartie circule déjà dans l’économie, et qu’il n’était pas possible de la réinjecter une deuxième fois. C’est vrai. Mais une façon de s’assurer que cette épargne extérieure est utilisée dans notre économie, est de permettre à la banque centrale d’emprunter son équivalent plutôt que d’attendre qu’on nous la prête par le biais d’eurobonds émis par nos états à des banques internationales. Si le financement graduel de l’économie que ces réserves permettraient ne réduit pas significativement le niveau de nos avoirs extérieurs nets, l’opération ne se solderait pas nécessairement en une dette nette ingérable par la BCEAO. Une autonomie d’objectif donnée à la BCEAO sur le taux de change tout en préservant sa mission première de stabilité des prix faciliterait cette gestion. Le refinancement par la banque centrale, à sa guise, de projets en soutient à l’exportation, à la substitution efficiente d’importations, et à la croissance serait ainsi bénéfique pour notre économie. Titrisés, des actifs de certains projets bien structurés pourraient même être vendus à l’international avec la participation de la BOAD.

Nous voyons là que notre destin n’est pas entre les mains de nos partenaires au développement, bilatéraux ou multilatéraux, si nous décidons de prendre la responsabilité de gérer nos finances. Là où l’Europe, par la solidarité, peut créer un mécanisme de stabilité en faisant lever des fonds par une entité garantie aux titres refinançables par la BCE, nous pouvons faire jouer le même rôle à la BCEAO sans la garantie des Etats si elle a la maîtrise de son bilan. Elle est notre meilleure institution et devrait pouvoir jouer un rôle réellement supranational auprès de nos états dans un monde post-Covid submergé de liquidités.

Ce que nous disons a été mis en œuvre par la Tunisie au début des années 2000. La Banque Centrale de Tunisie avait alors un programme d’émission de titres à moyen terme sur les marchés européens, japonais, et américains d’une valeur de 2 milliards de dollars qui équivalait au niveau de ses réserves de change de l’époque. Le prospectus indiquait que les fonds étaient destinés à renflouer ses réserves de change et à financer l’état Tunisien sans sa garantie. Si nous faisions la même chose, n’utiliserions-nous pas l’épargne nationale pour financer le secteur privé et des projets d’infrastructures rentables allant dans le sens de l’interpellation de Tidiane Thiam ? Crédit Suisse faisait partie des banques participantes. Cela nous semble préférable que d’emprunter la même épargne à travers le trésor d’un état tiers comme nous l’avons fait depuis 1960 pour remettre les fonds à nos états défaillants qui ont voulu conduire le développement à la place du secteur privé national. Annuler la dette pour la reconstituer de cette manière n’est pas souhaitable. Nos Etats pourront davantage se concentrer à développer le marché financier régional avec l’apport de non-résidents en monnaie nationale.

Alors, respectons les critères de convergence après le rattrapage contracyclique de la crise, renforçons notre banque centrale indépendante, et donnons-lui le mandat d’accompagner le développement sous le leadership du secteur privé et l’appui des états sur des choix consensuels avec l’exutoire du taux de change. Nos Etats se concentreraient davantage sur les services publics qui nous sont communs (santé, éducation, infrastructure de base, sécurité) dont la qualité dépendra d’une vraie politique de décentralisation. L’inclusion financière de nos populations et de nos collectivités locales leur permettra de participer à l’avènement de collectivités locales fortes soutenues par des petites et moyennes entreprises nationales résilientes.

De ce dernier point de vue, nous réitérons que l’Afrique devra capitaliser sur sa démographie en reconstruction et son urbanisation croissante qui ne seront plus des handicaps mais des atouts.  Ces deux facteurs conjugués à la digitalisation des échanges permettront aux populations des zones urbaines de mobiliser l’épargne en monnaie nationale correspondant aux dépôts stables de leurs portefeuilles électroniques pour leur transformation en financements à moyen terme. Elles auront ainsi également une option sur le refinancement de la banque centrale, et donc sur les réserves de change, et pourront disposer de fonds propres pour leurs projets sans passer par le crédit bancaire. En effet, nos banques peinent à transformer nos dépôts à vue stables en des financements à moyen et long termes au profit de nos entreprises.

Librement.

Afrique: Acteur Marginal, Réveil Forcé

« On ne peut rien pour les Etats qui ne veulent pas se prendre en main »

Le président Macky Sall vient de nous livrer ses premiers arguments économiques en faveur de l’annulation de la dette dans le Figaro. Son équipe économique devrait l’aider à comprendre que la comparaison des envois des sénégalais de l’extérieur à l’aide internationale est économiquement problématique, que l’Afrique n’est pas un acteur important du commerce international, qu’elle est une menace pour elle-même, pas le monde, et peut réaliser son destin libre en faisant ce qu’elle refuse de faire d’elle-même.

L’Afrique doit comprendre que la sous-exploitation de son potentiel de productivité locale du fait d’un déficit de leadership fait d’elle une convoitise du monde. Nous avons déjà traité de cette question dans notre tribune intitulée « Consensus de Dakar : Pas le Choix de la Jeunesse Africaine ». Le monde veut par une zone de libre-échange africaine et le financement du développement de l’Afrique en devises, exploiter, avec l’Afrique, le potentiel économique que l’Afrique se refuse d’exploiter elle-même. Cela veut dire qu’avec ou sans annulation de dettes, le Sénégal, sans programme avec le FMI, peut emprunter comme il veut à ceux qui sont prêts à endetter son élite pour un objectif supposé de croissance, car les populations n’y comprennent rien. Cela n’empêchera pas le FMI de tirer sur la sonnette d’alarme car les équipes qui viennent dans nos pays ne sont que des économistes de très haut niveau qui ne peuvent utiliser des arguments de l’homme de la rue pour défendre des points de vue politiques. Les conférences avec des économistes français entourés de nos chefs d’Etats convoqués pour la cause, n’y changeront rien. La preuve, nos Etats découvrent l’impuissance du FMI qui ne peut donner aucune injonction à des créanciers privés qui ont traité avec nos états directement. Ces derniers font leurs propres analyses de nos performances et de la soutenabilité de nos dettes au cas par cas, analyses qui ne relèvent pas de perceptions, mais fondamentalement de faits analysés par des humains qualifiés.

Nous avons déjà traité de la question de la dette dans notre précédente contribution intitulée « Annulation de Dettes NON, Souveraineté Monétaire OUI » pour expliquer que son annulation ne change pas grand-chose pour ceux qui savent comment une dette souveraine se gère. Une dette souveraine n’est presque jamais remboursée quelle que soit la monnaie dans laquelle elle est contractée. C’est renouvellement, défaut de paiement, ou monétisation par la planche à billets. Le reste, la croissance du PIB s’en occupe ou l’ajustement. Son annulation ne nous permettra que de nous endetter de plus belle en devises étrangères comme le souhaitent certains créanciers et libérera temporairement des charges d’intérêts. Lorsqu’on arrive à obtenir l’annulation de la dette, les bailleurs contrôlent vos finances car les emprunts nouveaux assimilés à ce qui devait être amorti (en réalité pour renouveler la dette existante) seront orientés vers les choix des bailleurs en compétition dans votre budget. Ces choix peuvent être ce que vous deviez faire par vous-mêmes avant d’en arriver à demander des annulations. Ils déterminent également les catégories de dépenses où les intérêts que vous n’avez plus à payer doivent aller, en imposant des planchers pour certaines dépenses à partir d’un point de référence.

Vous voyez bien que demander une annulation de dette est synonyme d’une perte de souveraineté car celui qui annule votre dette ne veut pas non plus vous permettre d’emprunter ou de rembourser de nouveaux créanciers avec les dettes qu’il vous a pardonnées. C’est en partie la raison pour laquelle certains bailleurs, par des dons, nous facilitent le remboursement de créanciers venant de leurs propres pays sans annulation de dettes. Il suffit de comparer les dons spontanés de l’union européenne (50% de l’enveloppe pour l’Afrique tout entière donnée au Sénégal) aux intérêts que nous devons à des investisseurs résidents en Europe cette année. Ce que les 25 pays les plus pauvres ont obtenu de facto au FMI et à la Banque Mondiale en dons de substitution au service de leurs dettes, nous l’obtenons directement en dons comme pays solvable ayant accès aux marchés mais quémandeur.

Dès lors, une fois que l’Afrique et ses «économistes» auront compris comment une dette souveraine quelle que soit la monnaie de dénomination se gère, il leur restera à découvrir de façon plus claire leurs inclinaisons idéologiques pour développer leurs pays. L’Afrique a deux choix à organiser (on évite les zones grises de compromis nécessaires délibérément) pour réaliser son destin libre : « Leadership d’Etat clair seul ou en ensembles ou sous-ensembles souverains pour réaliser son potentiel de développement » ou « Leadership de sa population, de ses petites entreprises, et de ses collectivités locales ». Elle doit opter pour la stratégie qui lui permettra de financer son développement libre. Toutes les autres discussions non-économiques sont inutiles de ce point de vue et polluent le débat sur des questions économiques sur lesquelles il n’y a pas grand débat, certaines relevant de choix et de préférences. On ne peut rien pour les Etats qui ne veulent pas se prendre en main.

Face à la contrainte de financement extérieur, il faut une flexibilité de taux de change et une stabilité macroéconomique pour éviter l’endettement extérieur et les ajustements inutiles. Face à la difficulté de découvrir les vrais secteurs porteurs, il faut d’avantage faire confiance aux acteurs économiques locaux plutôt que l’état si par ailleurs l’incompétence de l’Etat est supérieure aux imperfections du marché. Dans les deux cas, la flexibilité de change, comme exutoire, permet de corriger les erreurs. C’est cet exutoire qui a manqué à Houphouët Boigny et à Senghor, l’un plus libéral, l’autre socio-démocrate, là où Dia, même qualifié de communiste, aurait eu le courage de la souveraineté monétaire et s’en serait peut-être mieux sorti.

L’Etat du Sénégal est fondamentalement et congénitalement socialisant (centralisateur du processus de notre développement) et est pour le premier choix malgré les professions de foi dans les programmes avec le FMI et dans la rhétorique en faveur du relai du secteur privé. Il faut alors assumer et s’en donner les moyens : Reprendre sa banque centrale, son taux de change, et mener le développement avec la rigueur de gestion macroéconomique et de dette qui vont avec. Nous avons appelé cette stratégie SENEXIT. A défaut, il faut organiser le secteur privé et son inclusion financière pour qu’il prenne le relai véritablement avec l’exutoire toujours du taux de change.

Revenant à la sortie du président de la République sur les transferts des migrants. Nous disions dans une récente contribution qu’un pays qui ne peut pas exporter des biens et services se retrouve obligé d’exporter des êtres humains qui par leurs envois au pays financent l’équilibre de sa balance des paiements. L’aide extérieure est une aide budgétaire alors que les envois des sénégalais de l’extérieur ne sont pas destinés au budget. Sans envois des sénégalais de l’extérieur, c’est la population qui s’ajusterait. Sans aide extérieure, c’est le budget de l’état insuffisamment financé par des populations pauvres qui ne voient leur état nulle part d’essentiel qui s’ajusterait. Dans les deux cas, il ne s’agit que de financement de balance des paiements, et dans le cas de l’aide, des ressources que les populations ne voient pas.

La migration est le résultat de l’échec du leadership africain à créer de la richesse sur son sol par ses propres moyens, obligeant ses fils et ses filles à s’exporter pour financer les importations de leurs familles restées au pays. Ces importations marginales dans l’échiquier mondial sont en partie facilitées par des monnaies non gérées mais administrées assurant le retour des transferts dans les pays d’origine. Le monde assoiffé de pouvoir n’attend que l’annulation de la dette publique africaine pour s’assurer de son contrôle pour les 400 prochaines années sur son propre sol afin de partager son destin avec elle.  Il nous faut refinancer la dette extérieure existante en monnaie nationale et gérer notre pays de façon à pouvoir y arriver.

Librement

Dr. Abdourahmane Sarr est Président du CEFDEL/MRLD

Moom Sa Bopp Mënël Sa Bopp

Annulation de Dettes NON, Souveraineté Monétaire OUI

« Le nouvel appel de Dakar dont le président Français s’est fait l’écho est une répétition qui ne va pas dans le sens de nos intérêts. Nous n’y gagnerons pas comme nous n’y avons pas gagné depuis 1960 »

Le Président Macky SALL nous a invité le 3 Avril, 2020, soixantième anniversaire de notre indépendance, à réaliser notre destin, mais a appelé quelques jours plus tard à une annulation de notre dette publique en se basant sur des arguments de solidarité internationale. Il nous a aussi dit que cette idée lui est venue lorsqu’il s’est rendu compte que les intérêts sur la dette du Sénégal représentaient presque 50% du budget réel de riposte Covid-19 d’environ 600 milliards qu’il venait d’élaborer. Aussi contre-intuitif que cela puisse paraître de dire NON à l’annulation de la dette, nous voudrions par cette contribution convaincre une certaine cible qu’une annulation de dette n’est pas dans notre intérêt, si nous voulons prendre notre destin en main. La plupart des observateurs seraient effectivement d’accord que la dette extérieure est un handicap pour notre développement. Pour le Sénégal, son niveau actuel soutenable est une chance pour que nous changions de paradigme et poursuivre la politique générale annoncée par nos autorités en janvier 2020 et dont ils ne sont en réalité pas convaincus. Nous l’avons démontré dans nos contributions intitulées « Programme Sénégal-FMI : Paradigmes à Revoir » et « Consensus de Dakar : Pas le Choix de la Jeunesse » qui motivent notre opposition à « L’Appel de Dakar ».

Le non-économiste qui demande une annulation de sa dette a une logique budgétaire de gestion de ses finances. En effet, il suppose que l’annulation de sa dette va lui permettre d’économiser le service de la dette (intérêts et amortissements) et dégager des ressources qu’il pourra affecter à des dépenses nouvelles. Ce raisonnement est également valable pour un individu qui gère un budget familial, une collectivité locale, ou une entreprise qui ne peuvent en général s’endetter que pour financer des projets spécifiques. Une fois leurs dettes remboursées, ils libèrent des ressources pour des dépenses nouvelles ou peuvent emprunter à nouveau dans la même logique. Nos états ont toujours fonctionné de la sorte, car ils ne sont toujours pas gérés, malgré les indépendances, comme des états souverains. Cependant, ils découvrent progressivement avec le développement de marchés financiers nationaux et l’accès aux marchés financiers internationaux, que la gestion de dette d’un état souverain ne suit pas la logique d’un individu, d’une entreprise, ou d’une collectivité locale. Ceux-ci, en général, empruntent pour des projets spécifiques avec des ressources affectées au remboursement, ce qui n’est pas le cas d’un souverain.

Un état souverain, dans la quasi-totalité des cas, a un déficit budgétaire en permanence, ce qui n’est pas le cas d’un individu. C’est-à-dire que ses recettes (impôts, taxes, et autres) et ses dépenses (courantes et d’investissements) se soldent généralement par un déficit. Si cet état est déjà endetté, cela veut dire, qu’à part les intérêts pris en compte dans ses dépenses courantes, le reste du service de la dette, donc les amortissements, ne provient jamais des recettes. Les ressources d’emprunts qu’un comptable mettrait dans les ressources pour financer des amortissements ne sont pas considérées dans une démarche analytique comme des recettes, mais simplement comme un renouvellement d’emprunts. Le sénégalais lambda qui a une durée de vie limitée, dirait que cette façon de faire est « emprunter pour payer une dette ». C’est vrai, mais pour un état qui ne meurt pas, cet exercice peut durer une éternité sans qu’il n’ait à se préoccuper du remboursement de sa dette. La stabilisation de la dette par rapport au PIB du pays est suffisante, bien que les intérêts puissent prendre de l’espace dans les dépenses. Lorsque les intérêts sont payés principalement à des résidents épargnants, l’argent reste dans le pays. En revanche, lorsque ces intérêts sont payés à des non-résidents, il faut avoir les devises nécessaires pour les rembourser, toutes choses étant égales par ailleurs.

Allant plus loin, les gestionnaires de dette des états souverains déterminent le volume de dettes qu’ils doivent émettre dans une année donnée par la somme du déficit budgétaire à financer excluant les intérêts (appelé déficit primaire) qui leur vient d’une direction du budget, auquel ils ajoutent les intérêts et les amortissements de la dette existante qu’ils maîtrisent. Ce total devient le montant à rechercher sur les marchés. Dès lors que ce montant est finançable, tout en stabilisant la dette en pourcentage du PIB, il n’est pas nécessaire que la dette existante et les intérêts soient remboursés avec des recettes effectives en réduisant le volume d’investissements ou d’autres dépenses. Il est donc essentiel qu’une croissance soutenable du PIB soit au rendez-vous pour stabiliser la dette en pourcentage du PIB. Malheureusement, la croissance du Sénégal (sans pétrole et gaz) était en décélération sans Covid-19.

Si par ailleurs, le déficit budgétaire global est limité, comme c’est notre cas à 3% du PIB du fait de critères de convergence pour des raisons autrement valables (nous y reviendrons), cela veut dire qu’une annulation de dettes ne libérera que l’espace des intérêts sur la dette. Ceci parce que l’amortissement pouvait ne jamais être remboursé mais toujours renouvelé par un emprunt nouveau non affecté à une dépense spécifique et nous serions toujours limités à un déficit de 3% du PIB. En revanche, si l’amortissement est dû à une banque, il doit être amorti avec des ressources réelles si la banque ne nous fait pas un nouveau crédit non affecté à un projet spécifique d’où l’importance d’avoir accès aux marchés et d’être vu par eux comme étant un souverain solvable qui honore ses engagements. Nous devions déjà atteindre les 3% du PIB de déficit en 2020 et devrons y revenir au plus tard en 2022.

Nous voyons par ce développement qu’une annulation de dettes extérieures, conjuguée d’une limite sur le déficit budgétaire global en pourcentage du PIB ne libère que deux choses : 1) des dépenses d’intérêts 2) un espace pour plus d’emprunts extérieurs si l’épargne nationale est limitée à court terme. Si ces emprunts extérieurs sont pour des projets spécifiques, il faudra les rembourser ou emprunter sans affectation à des projets spécifiques pour ne pas avoir à rembourser ces emprunts avec des recettes budgétaires. A noter que des projets peuvent avoir des taux d’intérêts concessionnels mais achetés à des prix plus élevés que leur valeur réelle compensant ainsi le créditeur pour les intérêts subventionnés. Il s’y ajoute que si un choc défavorable devait nécessiter une dévaluation de la monnaie du débiteur, la concessionnalité du prêt risque de ne plus être si importante au vu de montants à amortir plus élevés en monnaie nationale. La politique de nos autorités publiée en janvier 2020 prévoyait déjà une réduction à moyen terme de notre dette extérieure, politique à laquelle elles ne croient pas, d’où l’appel à un consensus de Dakar rejeté sur la dette et sponsorisé par des économistes français.

Le nouvel appel de Dakar dont le Président Français s’est fait l’écho est une répétition qui ne va pas dans le sens de nos intérêts. Nous le disons au Président Macky Sall avec la plus grande sincérité. L’après Covid-19, et le retard d’exploitation du Pétrole et du Gaz, ne vont que révéler ce qui était déjà connu : l’échec d’une politique de croissance et d’émergence basée sur la dette extérieure et l’état sans les préalables, comme diplomatiquement décrié par les partenaires.

Notre position est donc que nous ne devons pas renouveler des emprunts en devises si l’espace était libéré pour de soi-disant meilleurs projets ou de nouvelles dettes concessionnelles. Nous ne devons pas non plus militer pour des déficits budgétaires plus élevés que dictés par notre critère de convergence pour lever du même coup la contrainte d’endettement extérieur. Nous ne devons pas non plus lever la contrainte de déficit budgétaire pour cause de ressources extérieures, concessionnelles ou non, disponibles si cela veut dire pour nos états de prendre des espaces de capacités d’absorption qui devraient aller à notre secteur privé. Nos autorités ont argumenté que le secteur privé devait prendre le relai de la croissance puisque dans notre cas, l’état s’était endetté de manière inconsidérée entre 2000 et 2020. Qu’il en soit ainsi car c’est le rôle du critère de convergence.

Il nous faut renforcer notre marché financier national et que les investisseurs étrangers acceptent de nous prêter notre déficit d’épargne en bonne partie en notre propre monnaie. Notre déficit budgétaire devra être limité par cette contrainte de financement en monnaie nationale par des résidents ou non-résidents, et dans une mesure raisonnable d’emprunts en devises de préférence du marché et non de banques pour des projets spécifiques. Les emprunts en devises de banques (multilatérales ou privées) ne devront être que pour des projets aux revenus propres capables de se rembourser hors budget et pour des risques de change maitrisés et partagés.

Nous ne pourrons pas émettre de dettes en monnaie nationale à des non-résidents étrangers à notre zone monétaire si nous n’avons pas une souveraineté monétaire et une flexibilité de taux de change. Ceci, comme nous l’avons maintes fois argumenté, parce que ces investisseurs préfèrent une monnaie flexible qu’ils peuvent analyser par rapport à ses fondamentaux et investir sur des maturités relativement courtes pour pouvoir plus facilement liquider leurs positions. A défaut, ils préfèrent une dette à long terme mais en devises, option qui n’est pas compatible avec la stratégie d’endettement que nous préconisons. Le Président de la République a délégué le leadership de cette question au Président Ouattara qui préfère un ancrage rigide du FCFA sur l’euro pour des raisons valables qui ne correspondent pas aux intérêts du Sénégal.

Nous disons donc NON à l’annulation de la dette bilatérale et multilatérale si elle vise à nous permettre de la renouveler en devises et poursuivre la politique de 2000-2020. Nous n’y gagnerons pas comme nous n’y avons pas gagné depuis 1960, car cette annulation permettra à nos dirigeants socialisants de reprendre de plus belle les mêmes politiques qu’ils ont reniées sous la contrainte des dettes qu’ils ont déjà contractées en notre nom. Notre salut se trouve dans l’inclusion financière de nos populations dans une monnaie compétitive, un environnement de liberté économique, et la responsabilisation de nos collectivités locales pour focaliser l’état central dans ce qui nous est commun et dont la santé n’est qu’un exemple que notre état découvre subitement.

De ce point de vue, enfin, nous voudrions dire à l’endroit des équipes du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale que la substitution progressive de la dette extérieure en une dette en monnaie locale présentée dans leur dernière analyse de viabilité de la dette du Sénégal pour décaisser les fonds Covid-19 est incompatible avec le cadre macroéconomique présenté. Il est impossible pour le Sénégal d’augmenter la dette intérieure de 30% PIB entre 2024 et 2039 dans un contexte de ralentissement de la croissance et une dette en hausse sans réforme monétaire. Cette analyse est à revoir car ce ne sera possible qu’avec une accélération soutenue de la croissance sans le pétrole et le gaz avec des réformes qui iraient dans le sens du respect des principes de la déclaration « Mobilizing with Africa ». Il s’agit d’une croissance à mener par le secteur privé dans l’après Covid-19. Pour le Sénégal, cela veut dire volontairement respecter les engagements déjà pris en janvier 2020 au vu des résultats 2012-2019 avec ou sans programme FMI/Banque Mondiale de gestion transitoire de crise. Ceci veut dire prendre notre destin en main.

 

Librement

 

Dr. Abdourahmane Sarr

Président CEFDEL/MRLD

Moom Sa Bopp Mënël Sa Bopp

Réalisons notre Destin, Libres

Le Président de la République a pris de bonnes mesures sur le plan de la riposte macroéconomique face aux effets de la pandémie qui « en nous mettant à l’épreuve » nous fait faire ce qui devait être fait même sans la crise. Le creusement du déficit associé au remboursement des arriérés de l’état répond à la critique que nous avions formulée sur le programme du FMI publié en janvier 2020 « Programme Sénégal-FMI : Décryptage et Paradigmes à Revoir ». Il est également en ligne avec les recommandations que nous avions formulées dans notre tribune intitulée « Organiser la résilience systémique à la crise » au vu de notre contrainte monétaire qu’il faudra lever dans une deuxième phase et qui nous imposait une riposte budgétaire d’envergure financée par le FMI, les bailleurs, et les banques. Les mesures fiscales nous semblent également appropriées, de même que le programme de garantie de crédits bancaires responsabilisant qui de droit. Par ailleurs, le Ministère des Finances devrait profiter de l’effacement de la dette fiscale pour préparer une réforme fiscale d’envergure en 2021 dans le cadre du programme « Yaatal » et réduire les taux et types d’impôts afin d’élargir l’assiette fiscale à tous. Le Ministère de l’Economie quant à lui devrait travailler à l’élaboration d’une stratégie de résilience systémique au-delà de la crise. En effet, les options stratégiques du Plan Sénégal Emergent ne renforcent pas notre résilience puisque ce sont des plans locaux dans la diversité qu’il aurait fallu et comme nous l’avons argumenté ailleurs, une économie basée sur des PMEs du secteur informel plus productives.

Sur le plan social cependant, nous aurions préféré comme nous le disions, un transfert de cash de 25000 FCFA à chaque sénégalais adulte ou les 6 millions ayant une carte d’identité pour un montant de 150 milliards. Un kit alimentaire assorti de paiements de factures est un plan de « résistance » spécifique et non de « résilience ». La résilience est le résultat de réactions diverses et appropriées à nos échelles individuelles et collectives contre des chocs et selon nos circonstances. Avec un transfert de cash, le montant par famille aurait ainsi varié et la dépense en fonction des besoins qui ne sont pas nécessairement des vivres de soudure, et aurait indirectement soulagé certains sénégalais dans la diaspora qui sont des soutiens de famille au Sénégal. L’effet macroéconomique aurait également été systémique et pas seulement dans le secteur de l’alimentation moins touché dans la conjoncture d’une économie au ralenti mais sans confinement. Le secteur informel au cœur de notre économie en aurait également davantage profité.

Le Président de la République a néamoins fait dans le compromis en tenant en compte des thèmes chers à son opposition : « mettre l’humain au cœur du développement » ou encore la « souveraineté alimentaire », mais la liberté à laquelle il a appelé pour que nous réalisions notre destin ne sera pas pour bientôt. En effet, nous ne partageons pas, en ce qui concerne le Sénégal, que notre dette bilatérale et multilatérale soit effacée, même si tel peut être le cas pour d’autres états africains fragiles.

Le Sénégal a dépassé ce stade et a argumenté que son endettement extérieur en devises de ces dernières années était nécessaire et bien utilisé pour une croissance future et du pétrole en perspective. Tel n’était pas le cas et nous avons encore la possibilité de changer de cap pour ne pas répéter l’histoire et effectivement réaliser notre destin dans la responsabilité sans tendre la main à autrui. Les bilatéraux représentent des peuples libres et dignes et nous voulons que nos enfants aspirent à la même chose. Les multilatéraux sont des banques dont nous nous aurons besoin dans le futur. L’appui que le FMI vient de nous octroyer dans un contexte où nous ne lui devions presque rien par les efforts du sénégalais lambda est un appui normal pour tous les pays du monde qui doit nous être disponible à nouveau demain. Seul un moratoire nous semble approprié pour le Sénégal, et encore, car ce dont nous avons besoin c’est de substituer la dette extérieure en devises en une dette en monnaie nationale détenue par des non-résidents investisseurs non bilatéraux et multilatéraux. Ces investisseurs ne prêtent pas à des états qui au moindre problème demandent des effacements de dettes du fait d’une mauvaise gestion en périodes favorables et sans les instruments de gestion macroéconomique, notamment la monnaie. En effet, ce ne sont pas des effacements de dettes qui sont sollicitées par les entreprises auprès de nos banques privées et à la BCEAO, mais bien des rééchelonnements et reports d’échéances.

Nous préférons également une révolution agricole à une souveraineté alimentaire. Une grande productivité agricole peut nous garantir la sécurité alimentaire sans passer par une politique d’autosuffisance alimentaire potentiellement inefficace. Pour ce faire, nous invitons nos autorités à mettre en œuvre une réforme foncière d’envergure dans le cadre d’un nouveau plan national d’aménagement du territoire et de plans locaux complémentaires. En effet, la finalité de la production dans une économie monétaire et d’échange et non de subsistance n’est pas la consommation propre des producteurs (individuellement ou collectivement) mais la vente pour des revenus. La finalité est l’obtention de revenus pour pouvoir se procurer ce que l’on désire d’où que ça puisse provenir tout en garantissant la sécurité alimentaire. Dans cette perspective il nous est même possible de garantir un revenu minimum à notre population rurale qui n’est pas obligée de travailler la terre qui continuera à lui appartenir, mais exploitable par des usufruitiers plus efficaces qui maitrisent les chaines de valeur. Nous l’avons argumenté dans notre contribution intitulée «Un Revenu Minimum Garanti pour une Révolution Agricole » qui inciterait nos agriculteurs dans leurs localités aux cultures vivrières à cycles courts.

Réalisons notre destin, réellement libres, après 60 ans d’indépendance. Cette liberté nous ne pourrons l’obtenir sans passer par l’épreuve du fer comme l’a dit le Président de la République, donc celle de la rupture. Comme nous le disions à la veille de la Présidentielle de 2019, « Optons pour un Sénégal qui prend son destin en main pour découvrir ce qu’est ce destin avec courage et foi ».

Ce destin nous ne pourrons le découvrir libres sans l’inclusion financière de notre population dans une monnaie compétitive dans le contexte d’un environnement de liberté économique et une décentralisation autonomisante et responsabilisante de pôles régionaux résilients et librement solidaires. Nous avons travaillé dans ce sens sur un projet novateur et structurant, l’avons exposé aux autorités monétaires qui n’ont pas émis d’objection (www.sofadel.com). Nous l’exposerons aux autorités et à la classe politique pour bâtir un consensus qui permettra à nos PMEs et nos collectivités locales de réaliser leur potentiel sans tendre la main à autrui.

Bonne fête de l’indépendance

Dr Abdourahmane Sarr
Président CEFDEL/MRLD
Moom Sa Bopp Mënël Sa Bopp

Sénégal: Organiser la Résilience Systémique au Covid-19

Nous disions il y a trois jours que «la résilience systémique ne peut être que le résultat de réactions diverses et appropriées à nos échelles individuelles et collectives contre des chocs et selon nos circonstances. Il faut donc suivre les recommandations des experts dans tous les domaines et être en alerte sur ce qui se fait bien ailleurs pour éviter de verser dans l’amateurisme.

Au-delà des mesures de prévention et de contrôle de la propagation de la maladie, nous disions que l’état devait préparer une riposte contracyclique pour suppléer au ralentissement attendu du secteur privé dans les limites de nos équilibres à gérer. Ceci, par la mobilisation d’une partie des ressources financières que le secteur financier national allait allouer au privé, et financer un déficit budgétaire plus élevé que prévu, accélérer le remboursement des arriérés de l’état, accorder des crédits d’impôts aux secteurs les plus affectés et observables par leurs déclarations d’impôts, et compenser nos manques à gagner et besoins en devises au FMI. Au sortir de cette crise, nous disions qu’il nous faudra évaluer nos capacités de résilience systémique dans tous les domaines vitaux de notre pays. Il nous faudra notamment réexaminer nos options économiques qui, comme nous l’avons argumenté ailleurs, ne vont pas dans le sens de la résilience systémique parce découlant de choix de l’état ou de partenaires étrangers plutôt que de la diversité des PMEs du secteur informel et de pôles régionaux à autonomiser.

Dans l’intérim, il est important de savoir qu’un problème systémique n’est pas un problème sectoriel ou multisectoriel aux éléments constituants identifiables car variables. De ce fait, on ne peut pas faire l’inventaire exhaustif des éléments constitutifs d’un problème systémique d’ordre macroéconomique. C’est dans la diversité des réactions appropriées qu’un système résilient revient plus rapidement à son état antérieur.

Dès lors, la réponse systémique doit être immédiate et d’abord macroéconomique. Dans le cas du Sénégal, et des pays de l’UEMOA, cette réponse ne peut être que budgétaire. La banque centrale ne doit pas être sollicitée ni par les états, ni par les banques, sans recadrage budgétaire car tout soutient des banques ou de la banque centrale sera in fine budgétaire dans notre cadre monétaire actuel. Des crédits non performants refinancés par la banque centrale pour permettre aux banques de financer des pertes d’entreprises affectées ne peut se faire qu’avec la garantie de l’état, ce qui nous ramène à un double problème budgétaire (celui du bilan de la banque centrale et de celui des banques). Cette liquidité, la banque centrale ne peut pas non plus la soutenir sans les réserves de change correspondantes que seuls les états peuvent aller chercher pour ne pas hypothéquer la reprise après la crise. Tout ceci devrait nous suffire comme preuve qu’il y a urgence à adopter la monnaie ECO UEMOA en 2020, à la flexibiliser, et à donner à la BCEAO une autonomie d’objectif sur le taux de change.

Il faut donc par l’endettement de l’état immédiatement mobiliser les ressources qui nous sont disponibles au Fonds Monétaire International en la circonstance, et qui peuvent aller à plus de 150 milliards, en ce qui nous concerne, et qui n’ajouteront qu’environ 1 pourcent du PIB à notre dette. Ces montants en réserves de change permettront par ailleurs à la banque centrale de soutenir un volume supplémentaire de titres d’états en FCFA et atténuer l’impact sur la demande globale, notamment du secteur des services. La mise en œuvre d’un nouveau cadre budgétaire doit être immédiate en ne réduisant pas notamment les crédits budgétaires en cours d’exécution jusqu’à plus de visibilité. L’utilisation appropriée de cette liquidité découlant d’un déficit budgétaire plus élevé que prévu par les citoyens assurera la bonne distribution sans que la bureaucratie d’état et le lobbying n’en déterminent la destination. Cette option devrait être celle des libéraux.

Dans un contexte où l’état et la BCEAO cherchent à accélérer l’inclusion financière des populations, l’état a là une autre opportunité. L’allocation d’un montant forfaire (25 000 CFA) à 3 millions de sénégalais, à travers des comptes de monnaie électronique (orange money, freecash etc…) à souscrire par les récipiendaires, représenterait 75 milliards des montants mobilisables au FMI. Ceci devrait se faire avec des incitatifs d’utilisation des montants alloués sous forme électronique au niveau des opérateurs. Pour la mise en œuvre, Il suffirait d’allouer des titres à ces sociétés qui ne les liquéfieront qu’au besoin dans les banques et à travers elles à la BCEAO qui détiendrait la contrepartie en devises mobilisées par les états. Cette politique de transferts de cash est actuellement mise en œuvre par plusieurs pays pour soutenir la demande globale sans ciblage particulier.  Cette option est également plus libérale et plus juste envers les populations qui toutes contribuent à la soutenabilité de notre dette, pas seulement les entreprises. La diversité des reactions des entreprises et des individualités leur capacité d’adaptation à la crise au fur et à mesure qu’elle se déroule n’est pas à sous-estimer. Il faut donc éviter de trop centraliser la réaction gouvernementale, pour soutenir la résilience de notre système économique.

Librement

Dr. Abdourahmane SARR

Programme FMI-Sénégal: Décryptages et Paradigmes à Revoir

Les documents de politique générale du Sénégal viennent d’être publiés par le Fonds Monétaire International à la suite de l’approbation par son Conseil d’Administration du programme conclu avec nos autorités. Cette politique met davantage l’accent sur la nécessité de s’appuyer sur le secteur privé pour réaliser notre émergence, après que la première phase du PSE n’ait pas réussi à livrer ses promesses de début de transformation structurelle, y compris par des projets privés, étrangers ou sous impulsion d’état, pour booster la croissance. Il est vrai que le langage diplomatique du FMI ne permet pas toujours de présenter les choses exactement comme elles sont. Nous avons démontré ce bilan dans notre rapport rétrospectif 2012-2018 appelant à un changement de paradigme pour promouvoir le secteur privé par une liberté économique plus accrue qui nous a toujours fait défaut (bilan socialiste, perspective libérale www.cefdel.net).

Nous avons néanmoins eu 5 années de croissance forte, du fait essentiellement d’une politique budgétaire plus expansionniste que présentée, indirectement financée par la banque centrale, par un endettement extérieur inconsidéré, et mise en œuvre de façon non transparente (lettres de confort aux banques et arriérés intérieurs). Cette politique a bénéficié d’un environnement extérieur favorable (baisse des prix du pétrole et des denrées sans baisse de taxation des citoyens, dépréciation de l’euro) pour donner des résultats meilleurs que ceux obtenus entre 2007 et 2012 avec plus ou moins les mêmes politiques. Par ailleurs, un revirement de la conjoncture internationale somme toute meilleure qu’en 2007-2012 avec la hausse des prix du pétrole, ainsi qu’un endettement à stabiliser, sont entrain de produire une décélération de la croissance. Le secteur agricole qui avait beaucoup contribué à l’accélération récente de la croissance avec l’appui de l’état est projeté en décélération dans le nouveau programme. De ce fait, sans l’avènement du pétrole et du gaz en perspective, nous retournerions à nos performances historiques de croissance insuffisante.

Cette grâce du ciel risque cependant de retarder notre émergence, car elle va desserrer l’étau budgétaire et permettre à l’état de poursuivre sa vision d’un état développementaliste socialisant sans avoir les instruments nécessaires d’accompagnement, nous y reviendrons. Les sénégalais doivent savoir que le secteur pétrolier et gazier n’ajoutera que 5% de notre PIB annuellement. En comparaison, les sénégalais de l’extérieur ont progressivement augmenté leurs envois de 4% du PIB en 2000 à 12% par an aujourd’hui, soit 8% du PIB de plus. Ces ressources n’ont fait qu’alimenter une augmentation du niveau de nos importations en pourcentage du PIB sans réduire notre déficit commercial. Par ailleurs, les recettes fiscales supplémentaires attendues du secteur énergétique ne sont que de 1.5% du PIB en moyenne, soit moins que les dons de 2% du PIB que nous recevons tous les ans de nos partenaires. Un pays comme la Côte d’Ivoire, par exemple, prévoit dans les 5 prochaines années, une réduction à presque zéro des dons dans son budget. Ces comparaisons sont à méditer si nous pensons que l’avènement du pétrole et du gaz va transformer notre pays sans que nous ne changions de paradigme de gestion.

La correction de nos dérapages budgétaires pour avoir un nouveau départ a donc dû nous être imposée comme préalable à la présentation de notre nouveau programme au Conseil du FMI (actions préalables dans le jargon consacré). Il s’agissait, par une deuxième loi de finances rectificative 2019, et une loi de finances 2020, d’éponger les arriérés de l’état, d’arrêter la mise en œuvre non transparente de déficits budgétaires effectifs plus élevés que présentés aux partenaires, et de les maintenir à 3% du PIB en 2020 et à moyen terme en ligne avec nos engagements, y compris dans l’UEMOA. Le FMI n’est cependant pas allé au bout de sa logique, car nous ne partageons pas la stratégie d’apurement progressif des arriérés intérieurs dans le programme. La capacité d’endettement du Sénégal doit pouvoir lui permettre d’émettre des titres, même en devises, et d’éponger ses arriérés en une fois pour soutenir le secteur privé et les banques. De ce point de vue, il ne fallait pas ajouter la dette des entreprises publiques à l’analyse de la viabilité de la dette publique, ce qui aurait permis à l’état central de transformer les arriérés en une dette marchande, tout en prenant en compte, dans les risques, un passif éventuel venant d’entreprises publiques défaillantes. La prise en compte de ces passifs conditionnels est prévue par le cadre d’analyse de la viabilité à un niveau plus faible que la dette totale des entreprises publiques qui a été prise en compte dans l’analyse. En effet, les entreprises publiques en question ont des actifs, y compris avec une valeur marchande en devises (exemple, les avions d’Air Sénégal).

En attendant que le peuple se conscientise, ou que le dialogue national change la donne, nous voici donc à nouveau à la case de départ avec le seul gendarme en mesure de s’assurer que nous maintenions la stabilité macroéconomique malgré nos options souveraines potentiellement mal orientées. En effet, bien qu’annonçant à nouveau que le secteur privé sera le moteur de la croissance dans le PSE II, comme c’était d’ailleurs le cas dans le PSE I, l’état n’a pas l’intention de changer de méthode. Avec l’avènement du pétrole et du gaz, notre état pense maintenant avoir les moyens de mettre en œuvre sa véritable vision d’un état développementaliste avec en perspective des projets de partenariats publics-privés à tour de bras avec les ressources publiques qui doivent aller dans d’autres priorités (éducation, santé, etc..).

Pour s’assurer que cette stratégie ne mettra pas en péril notre cadre macroéconomique, le FMI nous a donc imposé, et de façon non appropriée sur le plan de l’optimalité, un ancrage du programme sur la dette publique totale (y compris des entreprises publiques) à réduire. Il s’en est suivi une stratégie d’endettement que nous ne partageons pas, car le niveau d’endettement de l’état central n’a pas besoin d’être réduit mais stabilisé en pourcentage du PIB en ligne avec le niveau de déficit budgétaire arrêté à 3%.  En effet, même si cet ancrage par la dette publique totale permet d’éviter un endettement extérieur excessif dans l’éventualité de l’échec de projets publics-privés (y compris avec la Chine et autres), il ne prévoit pas de réduire la part de l’endettement en devises dans le portefeuille de l’état de façon plus délibérée. Dans une optique de réformes visant à passer réellement le relai de la croissance au secteur privé national et international dans un environnement de liberté économique véritable et un état aux priorités recadrées, notre régime de change à flexibiliser ferait partie des réformes nécessaires.

Un taux de change plus flexible permettrait à l’état d’attirer les investisseurs privés dans son marché financier en monnaie nationale, et avoir le taux de change comme exutoire au cas où ses projets, même financés en devises, ne réussissent pas. Ce n’est donc pas simplement le niveau d’endettement qu’il faut contenir, il faut également contenir sa composition en devises de façon plus volontariste pour permettre à un taux de change de jouer son rôle sans que la dette totale ne dépasse certains seuils dans l’éventualité d’une dévaluation. Nous l’avons argumenté en détail dans le rapport cité à l’entame de cette contribution. Une stratégie d’endettement qui privilégie la dette extérieure même concessionnelle ne nous met pas à l’abri des conséquences de ce risque de change. L’initiative des pays pauvres très endettés et celle relative à l’allègement des dettes dues aux multilatéraux en sont la preuve, bien que les projets financés par ces mêmes multilatéraux aient été bénis. De plus, dans notre cadre institutionnel actuel où les flux de capitaux vers la sortie ne sont pas libres (les sénégalais ne peuvent pas transférer des capitaux librement à l’extérieur) le risque de refinancement d’une dette en monnaie nationale est limité. De ce fait, la stratégie d’endettement qui privilégie les maturités longues en monnaie nationale dans un environnement où l’épargne est courte, et où même les non-résidents préféreraient des maturités plus courtes en monnaie nationale car moins risquées, est à revoir. Le risque de variabilité des taux d’intérêts pourrait en valoir la peine en termes de coûts économisés.

Cela dit, ce n’est pas parce que la politique de change préférable ne peut être décidée qu’à l’échelle de l’UEMOA qu’elle ne doit pas être un préalable à une meilleure stratégie que ce que le programme prévoit. L’annonce du caractère désirable d’une telle politique, comme cela se fait dans les programmes de pays comme le Maroc, ne devrait pas poser de problème particulier. Cette politique qui permet une dette extérieure en monnaie nationale et une monnaie plus faible en échange de tarifs extérieurs plus bas, pourrait améliorer notre compétitivité extérieure et réduire notre vulnérabilité extérieure. Des tarifs extérieurs plus bas et des taux d’imposition plus faibles iraient également dans le sens voulu de formaliser notre économie et élargir l’assiette fiscale. Si nous ne pouvons obtenir ce changement de paradigme au niveau de l’UEMOA, le Sénégal doit opérer son SENEXIT de cette UEMOA et de la CEDEAO pour prendre son destin en main et mettre en œuvre les excellentes réformes contenues dans le programme publié. Ces réformes vont dans le sens d’améliorer les performances du Sénégal en matière de liberté économique.

Si le régime de change n’est pas flexibilisé, nous maintiendrons la stabilité macroéconomique qui s’est améliorée entre 2012 et 2019. Cette amélioration est tout de même partiellement à l’actif du Président Macky SALL au vu des déficits hérités en 2012, mais elle a été en bonne partie fortuite (prix du pétrole notamment). Dans le cas contraire, le Sénégal demeurera un pays non émergent malgré le pétrole et le gaz. Même dans le paradigme développementaliste de l’état, reconnu et implicitement décrié dans le programme (zones économiques spéciales, projets PPP aux risques fiscaux non évalués), un régime de change flexible d’accompagnement de la libéralisation du pays aiderait à bâtir une économie plus résiliente et plus performante.

De ce dernier point de vue, nous disons à l’endroit des équipes du FMI et du Ministère des Finances que la stratégie d’endettement décrite dans le programme du FMI avec la Côte d’Ivoire suppose une continuation de la parité fixe avec l’euro. Elle le suppose car la dette extérieure continue d’y avoir un rôle très important en poids, ce qui suppose que cette dette, si son risque de change doit être contenu, sera en euro comme préféré par le Président Ouattara. Cet ancrage que le Sénégal semble partager ne suppose donc pas la flexibilité du taux de change qu’il faut pour qu’il puisse bâtir une économie diversifiée, résiliente, et ouverte sur le monde avec une croissance génératrice d’emplois menée par le secteur privé y compris national. Cet ancrage suppose dans le cas de la Côte d’Ivoire, le leadership d’un secteur privé national financièrement plus inclus et des investisseurs étrangers bien ancrés dans un pays qui, ces 5 dernières années, a gagné en place dans les indices de liberté économique (voir rapport cité). En effet, le programme publié par le FMI montre que le Sénégal a un secteur informel deux fois plus élevé qu’en Côte d’Ivoire, une population moins scolarisée, et un score sur l’accès au crédit deux fois moins performant auquel la politique de la BCEAO, qui a été par moment plus ivoirienne que régionale, n’est pas étrangère.

Il demeure, cependant, que la déclaration de politique générale du Sénégal pour les trois prochaines années va dans le bon sens et représente un changement de cap par rapport aux énoncés de priorités du PSE 1. A la place du paradigme volontariste de transformation structurelle de l’économie par des projets publics-privés stratégiques à mettre en œuvre de façon « agressive », la nouvelle lettre de politique met davantage l’accent sur les réformes structurelles pour créer un environnement de liberté économique pour le secteur privé. Ceci, dans la stabilité macroéconomique, et une gestion responsable sur le plan macroéconomique des ressources pétrolières et gazières. La mise en œuvre de budgets programmes nous permet aussi d’espérer que l’état se concentrera davantage là ou il est attendu (éducation, santé, infrastructure de base, renforcement de la décentralisation dans la mise en œuvre autonome des programmes sociaux).

De ce fait, les instruments publics de financement (FONSIS, FONGIP, BNDE, CDC, DER, ADPME), s’ils doivent soutenir le paradigme «Doomed to Choose » ou « Condamnés à Choisir» des voies de développement du secteur privé par un appui de l’état doivent être déployés si des marges de manœuvre budgétaire sont réellement disponibles. Ces marges de manœuvre ne peuvent cependant être obtenus au détriment du secteur privé par des impôts plus élevés, par un effet d’éviction des banques privées, ou une utilisation inadéquate de ressources provenant du pétrole et du gaz. Les impôts doivent être utilisés pour des services publics de qualité en soutien aux citoyens pour qu’ils puissent plus facilement consentir à l’impôt dans le cadre d’une politique de décentralisation véritable. Cependant, la volonté exprimée par l’état «de réaliser une accélération massive des investissements privés à travers un programme ambitieux de projets bancables, mûrs, développés avec un capital d’amorçage dédié » semble indiquer une divergence entre les priorités du programme conclu et la réalité que nous vivrons les trois prochaines années.

Dans cette dernière éventualité, on devra vivre avec l’ancrage par la dette publique totale du FMI qui nous permettra au moins de repartir si on échoue une nouvelle fois. Bien que ce paradigme ne soit pas plus approprié que celui de l’état développementaliste sans l’exutoire du taux de change dans un environnement de liberté économique véritable pour tous, il limitera les dégats.

 

Librement

 

Dr Abdourahmane SARR

Président CEFDEL

Moom Sa Bopp Mënël Sa Bopp