Dilemme de YAW: Liberalisme ou Collectivisme

Nous remercions Ousmane Sonko de nous avoir cité dans son livre « Les territoires du développement » à travers notre contribution intitulée « Consensus de Dakar, pas le choix de la jeunesse africaine ». Dans cette contribution, nous avions soutenu que nos États de l’UEMOA ne devaient pas considérer les bailleurs et le Fonds Monétaire International comme leur État central et nos États comme des entreprises uniques dans leurs territoires ou des collectivités locales uniques qui collectivisent le processus de développement à travers des projets d’envergure choisis et financés lors de groupe consultatifs notamment. En prenant leurs souverainetés pleines sur la gestion économique, notamment par le décrochage de leur monnaie, la décentralisation en pôles régionaux dans leurs pays leur permettrait de jouer pleinement leurs rôles d’États centraux. Le paradigme de collectivisation du processus de développement ou la gestion de ces pôles comme des entreprises uniques aurait alors plus de chance de réussir.

Cela dit, cette façon de faire n’est pas notre option première. Elle est dans le même esprit que le Plan Sénégal Émergent, bien que plus diversifiée, en collectivisant par des plans aux échelles de plusieurs territoires et de plusieurs leaderships politiques, le processus de développement économique. C’est le paradigme « Doomed to Choose » ou « Condamné à Choisir » des voies de développement économique que nous avons expliqué dans notre critique de la première déclaration de politique générale du Premier ministre Boun Abdallah Dionne « la vision qui sous-tend la déclaration de politique générale a-elle été adaptée au contexte ». Il suppose une analyse des forces et faiblesses d’un territoire (comme une entreprise) et de choisir des voies pour le développer embarquant toutes les ressources du territoire dans ces directions. Des cabinets privés l’ont promu dans nos pays aidés en cela par des bailleurs.

Cette vision, dans le cadre de la décentralisation, oblige une délimitation du pays en pôles sur la base de critères de secteurs à développer et de forces et faiblesses. Le Plan Sénégal Émergent ayant déjà des projets de territoires sur la même base et ayant l’intention de diriger le développement avec des consultations locales certes, n’a pas encore jugé nécessaire d’autonomiser des pôles. Le programme du pouvoir à Dakar (Abdoulaye Diouf Sarr) est dans la même logique. Ceci, parce que ces pôles ne seront pas auto-finançables dans notre cadre institutionnel actuel puisqu’il n’y a pas véritablement de niches fiscales de cette envergure et la coopération internationale est principalement centralisée. C’est ce qui explique le statu quo de l’Acte III de la décentralisation et en partie la séparation inefficace du ministère des Finances et celui de l’Économie, du Plan, et de la Coopération où l’un réfléchit et l’autre administre les ressources. Le véritable ministre est le président de la République qui dirige et bientôt le Premier ministre. Nous en avons parlé dans notre contribution intitulée « Macky Sall : ministre de l’Économie et des Finances ».

Ce paradigme collectiviste est préféré par les organismes internationaux de développement dans le contexte de la décentralisation puisqu’il permet de matérialiser le concept de plan de développement local participatif. Participatif certes, mais dirigé par le leadership politique local dans une division des rôles entre les échelles centrale et locales, toutes les deux contraintes par la non-disponibilité de ressources locales pour financer leurs plans. De ce fait, dans ce paradigme décentralisé, le leadership politique local pluriel est également toujours à la merci des bailleurs et des investisseurs internationaux d’où les agropoles et les zones économiques spéciales du président Macky Sall. Ces projets pourraient réussir, mais ils ne développeront pas une économie résiliente faite de la diversité de ses petites et moyennes entreprises libérées de l’orientation d’intérêts internationaux et de logiques politiciennes.

Le paradigme développé dans « Les territoires du développement » est donc le même que celui du Plan Sénégal Émergent. Ils diffèrent dans les méthodes de mise en œuvre, mais ils ont la même essence. Ils ne libèrent pas le peuple. Mis en œuvre dans plusieurs pôles régionaux autonomes et en compétition, il est cependant plus libéral que sa version centralisée. Il a plus de chance de réussir mais sa planification du développement économique comme on planifierait l’aménagement du territoire et les services publics en fait un paradigme dirigiste. Il n’est pas préféré par les libéraux véritables qui sont pour la responsabilisation des citoyens eux-mêmes et du privé national ou local dans leurs diversités en mettant en place les conditions de leur propre développement, notamment leur financement au niveau local et celui étranger en complément.

C’est cette volonté qui nous avait amené à théoriser notre modèle de monnaie nationale complémentaire au FCFA qui ne correspond pas à ce qui se fait en France, en Angleterre, ou en Suisse qui dans ces contextes et même dans le nôtre sans adaptation auront un impact limité. Limité car les monnaies locales en France et ailleurs comptent sur la vitesse de circulation monétaire (la vélocité) et la volonté des usagers pour avoir un effet de quantité monétaire, et restent convertibles en totalité en monnaie nationale. Ceci fait qu’elles ne sont pas différentes de leurs monnaies nationales dans le fond. Ce qu’il nous faut dans notre contexte est d’approfondir notre secteur financier par l’inclusion financière de nos populations et davantage innover pour avoir le même effet de quantité en volume que le secteur bancaire sans nécessairement compter sur la vélocité ou les banques qui n’arrivent pas à inclure la population. Nous n’entrerons pas dans les détails techniques de notre projet Senxaliss. Ces détails ont été développés dans notre contribution intitulée « Relance post-Covid Endogène : Comment ? ».

Ces éléments de clarification nous permettent cependant d’aborder le dilemme de la coalition Yewwi Askan Wi en termes de leadership politique et de choix doctrinal. Nous avions défini Ousmane Sonko comme un patriote socialisant qui depuis son livre « Solutions » que nous avons critiqué « Ousmane Sonko et le socialisme congénital sénégalais » se rapproche davantage du libéralisme tout en conservant son penchant socialisant au sens de sa volonté de collectiviser ou diriger le développement (le Plan Collectif Local). De ce point de vue, il est devenu un libéral social comme le président Macky Sall, mais plus libéral localement, puisqu’il est prêt à autonomiser les territoires étant en pole position pour en diriger un, la Casamance. Macky Sall a choisi le libéralisme internationalisé socialisant qui met en avant l’État central et ses partenaires étrangers (publics et privés) dans le plan et une fibre sociale de redistribution des fruits (PUDC, CMU, DER, etc..). L’autre leader principal, Khalifa Sall, est un libéral social, non pas au sens de la collectivisation du développement économique, son parti d’origine ayant expérimenté son échec dans notre cadre institutionnel actuel, mais au sens de la redistribution et d’appui à « l’individu », « l’humain » (éducation, santé, cadre de vie, infrastructures de base, etc…). Cette différence a été exprimée à Ziguinchor lors de leur meeting de démarrage de campagne où Khalifa Sall (comme Barthélémy Dias à Dakar) a axé son discours sur l’humain et son autonomie, rejoignant notre slogan « Moom Sa Bopp Mënél Sa Bopp ». Il a présenté Ousmane Sonko comme un futur bon maire de Ziguinchor mais pas nécessairement comme futur président de la République. Ceci n’a pas semblé être le cas des autres orateurs présents et la perception de Sonko lui-même en campagne.

Les leaders de Yewwi Askan Wi doivent davantage clarifier leur slogan et la véritable signification du lieu de démarrage de leur campagne à Ziguinchor. Ils ont commencé à le faire comme nous les y exhortions dans notre contribution intitulée « Yewwi Askan Wi : Erreur stratégique de Pastef » mais leurs visions d’une décentralisation autonomisante et responsabilisante ne semblent pas les mêmes malgré leur volonté de « libérer » le peuple.

La vision collectiviste développée dans le livre « Les territoires du développement » ne correspond également pas nécessairement à la vision de l’économie sociale et solidaire plus libérale qu’ Ousmane Sonko a exprimée en discours à Ziguinchor et qui privilégie une coopération entre le public d’une part et le privé et les citoyens libérés des leaders politiques aux niveaux international, central et local d’autre part qui est notre option. Il faudra clarifier pour les électeurs et les citoyens.

Nous invitons, sans prétention, la classe politique sénégalaise à opérer une renaissance doctrinale car elle est presque dans sa totalité socialisante et collectiviste par nécessité dans notre cadre institutionnel actuel. Nous les exhortons à épouser le Libéralisme Patriotique Progressiste que nous avons développé dans notre contribution intitulée « Senexit :  Libéralisme Patriotique ou Socialisme ? ». Il met en avant les individus d’une part et les responsabilise dans leur propre développement par la diversité de leurs propres plans de développement. C’est son caractère progressiste. Son volet patriotique est facilité par le décrochage de notre monnaie de son lien extérieur. Il est libéral car il met les territoires de même que les individus et les entreprises en compétition. Ceci n’empêche pas la planification de l’aménagement du territoire et des services publics à court, moyen, et long terme aux échelles nationales et locales. Il n’exclut pas non plus le paradigme « Doomed to choose » mais seulement dans les limites de disponibilités de marges budgétaires sans effet d’éviction du secteur privé. Notre état en ajustement n’a pas de marge et ne doit pas gaspiller nos ressources pétrolières et gazières à venir.

C’est le sens de notre décentralisation autonomisante et responsabilisante. Il nécessite l’inclusion financière par une monnaie nationale complémentaire dans 5 pôles régionaux polarisés par des grandes villes et non des pôles à créer principalement sur la base de secteurs choisis ou d’avantages supposés. Cet instrument monétaire sera déterminant dans notre cadre institutionnel actuel. Il permettra de matérialiser une économie sociale et solidaire soutenable et dont l’impact ne sera pas marginal dans un contexte de grande pauvreté. Cet instrument n’a pas été développé dans « Les territoires du développement » d’Ousmane Sonko et ne correspond pas comme nous l’avons dit à ce qui se fait en Europe. Notre modèle a pris en compte toutes les objections exprimées par la BCEAO en 2015 et est prêt pour expérimentation avec tous les élus locaux du pouvoir comme de l’opposition.

Cette posture indépendante par l’écriture et l’influence des débats de fond n’enlève en rien la possibilité d’un engagement politique dans le contexte d’élections comme nous l’avions fait de par le passé. Comme disait Mamadou Dia dans une lettre réponse à Senghor qui lui demandait de renoncer à la politique pour le libérer de prison «…Je crois qu’il faut distinguer la politique en tant qu’intégration dans la cité, dans la communauté humaine, et la politique en tant que déploiement d’une technologie de conquête du pouvoir….. Parler du développement implique, de quelque bout qu’on prenne les problèmes, cette dimension politique…. je n’entends de nulle façon me mettre à entreprendre la conquête du pouvoir.…Mais je tiens à préciser que cette appréciation réaliste n’a pas à prendre la forme d’un engagement invalidant l’idée d’une hypothèse alternative…c’est un principe intangible auquel on ne peut apposer des arrangements particuliers… », disait-il.

Librement

Dr. Abdourahmane Sarr est président CEFDEL

Moom Sa Bopp Mënël Sa Bopp