OUI Monsieur le Premier Ministre
Nous espérons que Boubacar Camara appréciera avec humour le titre de ce texte de clarification puisqu’il nous a décerné la qualité de président de la République à la suite de notre revue de son livre « Construire le Sénégal du Futur » dans notre contribution intitulée « Boubacar Camara : président ou Premier ministre ».
Le futur du Sénégal nous est tellement cher que lorsqu’on en parle, croyez-nous, nos opinions sont dépourvues de toute personnalisation et nous ne pouvons être le bras armé de personne. Pour cette même raison, la critique publique écrite et réfutable est toujours proposée, critique avec laquelle tout un chacun peut être en désaccord argumenté. C’est ce que Boubacar Camara a fait tout en réaffirmant ce que nous avions déjà compris, c’est-à-dire : « Il doit être clair pour tous que les ressources naturelles sont l’épine dorsale du modèle de développement que je propose et servent à la fois de levier et source de financement équitable », nous dit-il.
Pour cela, sa vision est décrite ainsi qui suit « Bâtir un Sénégal prospère par un capital humain épanoui à partir de l’exploitation judicieuse des ressources naturelles [notamment par l’optimisation de toutes les chaînes de valeurs des produits, en renforçant les acteurs essentiels de la société] pour un développement durable ». C’est précisément de cette vision basée sur les ressources naturelles dont nous ne voulons pas, nous lui préférons une bonne gestion par des ressources humaines de qualité libérées d’un État pesant aux choix plus que discutables.
Nous n’avons donc aucun désaccord profond autre que sur la vision car la reformulation de la vision que nous lui avons proposée, après lecture annotée des 300 pages de son livre, capture sa préoccupation sur le capital humain et ses interventions souhaitées : « Un Sénégal associé à ses proches voisins dans un État fédéral libre, développé, et bien géré dans la solidarité à travers l’industrialisation financée par le troc de ressources naturelles en échange des investissements nécessaires. Dans les investissements nécessaires entendez tout ce que Boubacar Camara veut financer par le troc, d’une part, par son État développementaliste (les chaînes de valeur choisies) et, d’autre part, le capital humain pour lequel nous n’avons aucun souci et que nous mettons au rang de priorité que l’état soit développementaliste ou pas. Sans les ressources humaines de qualité, jeunes, femmes, bref ses fils et ses filles, le Sénégal ne pourra pas être bien géré et ne pourra pas conduire son industrialisation.
Le Sénégal, à la croisée des chemins en 2024, devrait être confié à un président de la République à la vision comprise par ceux qui peuvent la comprendre et qui l’acceptent. Notre revue du livre de Boubacar Camara a tiré comme conclusion que sa vision présentée n’est pas désirable pour le Sénégal de notre point de vue car elle se résume à un mode de financement qui ne libèrerait pas l’Afrique, et est inadaptée à un pays « frontier market » comme le Sénégal. Nous avons dépassé le stade du « bartering » pour vendre nos projets potentiels en partenariats public-privé. Nous Sénégalais, et pourquoi pas la classe politique, pouvons avoir un consensus sur le reste des développements de son livre.
Notre revue a permis à Boubacar Camara de réaffirmer deux choses, d’abord réitérer avec force l’amalgame qu’il fait entre un mode de financement et la structuration appropriée d’un partenariat public privé, ensuite sa vision du développement par les ressources naturelles. Tout ce qu’il écrit sur la structuration de projets à travers des « Special Purpose Vehicles », notamment, est vrai mais il n’est point besoin de faire dans le troc pour atteindre ces résultats lorsqu’on a un État bien géré qui a un bon cadre macroéconomique et qui a accès aux marchés financiers internationaux (nous ne parlons pas de bailleurs de fonds bilatéraux ou multilatéraux). Ce n’est peut-être pas la tasse de thé ou de café de Boubacar Camara mais un Sénégal libre dans une Afrique libre devra se faire par le moyen de stratégies à moyen terme d’endettement séparées de ses projets viables finançables par partenariats public privé.
Dans la bonne gestion de la dette souveraine, les déficits et les charges de la dette (intérêts et capital), ce que nous appelons les déficits primaires et les charges de la dette sont refinancés et peuvent ne rien avoir à voir avec les flux de projets spécifiques structurables. Les arguments que Boubacar Camara nous sert le prouvent : « le choix du recours aux ressources naturelles ne doit être écartée ou relégué au second plan…structurer des financements en procédant à un troc…le tout c’est de bien le faire….on se présente aux marchés financiers autrement avec des garanties solides ». La meilleure garantie c’est la bonne gestion du risque souverain d’une part (macroéconomique et structurel), et la bonne structuration de tous les projets d’autre part. Nul besoin de faire du troc pour atteindre les deux objectifs à moins de n’avoir aucune confiance en soi en dehors d’un « special purpose vehicle » avec lequel on peut par ailleurs avoir tous les avantages listés par Boubacar Camara sans convention de troc. Encore une fois, certains pays africains n’ont pas d’autres choix que le troc avec des partenaires spécifiques et/ou d’offrir en garantie les flux de devises sur leurs ressources naturelles privant leurs banques centrales des mêmes devises pour une gestion macroéconomique responsable et souveraine dans la liberté. « La disponibilité d’un partenaire financièrement solide et doté d’une expérience avérée qu’il convient évidemment de sélectionner dans des conditions transparentes », comme le dit Boubacar Camara, ne nécessite pas de troc de ressources naturelles.
Revenant à la personnalisation supposée du débat, n’étant pas d’accord avec la vision de Boubacar Camara pour notre pays, nous lui disons en toute sincérité qu’il a convaincu sur un autre volet, et nous pensons que c’est son parcours qui l’a justifié. De la même manière que ses projets de troc qu’il a vécus ne nous agréent pas pour le Sénégal, Boubacar Camara, de son vécu dans l’administration, nous a proposé 36 secrétaires d’État dont les ministres ne seraient pas les patrons mais le Premier ministre pour dépolitiser l’administration. Nous avons jugé que cette administration qu’il nous a proposée pourrait lui être confiée puisqu’il ne nous a pas convaincu sur la vision. Il a toute notre confiance, pas nous en tant que président de la République, et pourquoi pas, mais un nous en tant que personne et un nous potentiellement collectif de Sénégalais que notre critique aura convaincus. Nous sommes loin d’accuser Boubacar Camara de chercher un poste de Premier ministre. Il peut être assuré, en revanche, que les thèses de notre revue ont bien évidemment eu comme objectif de marquer notre différence maintes fois exprimées. Que Boubacar Camara ne veuille pas jouer les seconds couteaux est de son droit, mais nous ne sommes pas convaincus de la vision qu’il propose car elle ne libérera pas le Sénégal du statu quo d’un État centralisé, développementaliste, qui n’aura pas les moyens de sa politique, ni seul, ni dans une fédération avec ses voisins qui ne pourra avoir qu’une banque centrale hors de portée. Ce dernier point peut être davantage développé si nécessaire car il est lié à tous les schémas de financement, y compris le troc proposé.
Pour l’heure, nous espérons que Boubacar Camara pourra convaincre les Sénégalais qu’il a une meilleure stratégie de financement que les candidats déclarés qui nous proposent également de nous développer par la transformation structurelle dirigée de notre économie ou de nous développer par les ressources naturelles à travers un état développementaliste bien financé. Pour changer de cap, il nous dit lui-même : le commandant du navire doit disposer de tous les outils nécessaires pour déterminer la nouvelle route à suivre et se donner les moyens de s’y maintenir en faisant face à toutes les intempéries. Ce commandant, en l’occurrence l’état, notamment son bras technique, l’administration publique, doit administrer le navire et sa cargaison…l’administration doit…s’arracher des griffes de la politique…». On ne peut pas faire du troc de ressources naturelles sans avoir des valeurs collectivistes que Boubacar Camara partage avec bien d’autres qui n’ont pas choisi le troc, qu’ils débattent sur leurs visions partagées.
Nous préférons responsabiliser les Sénégalais, leurs entreprises, et leurs collectivités locales, « la cargaison », et laisser l’État s’occuper de ce qui nous est réellement commun dans la diversité cultuelle, culturelle, et des citoyennetés. Il ne s’agit pas ici de néolibéralisme, car l’État peut avoir des rôles à circonscrire par nécessité ou opportunité, précision pour parer aux réactions épidermiques des collectivistes.
Nous ne sommes pas encore candidat mais si on devait l’être ce sera pour porter la vision d’un Sénégal de liberté, de patriotisme et de progrès qui fait effectivement l’objet d’une offre publique d’adhésion.
Librement.